Les Tunisiens s’apprêtent à voter, et les commentateurs occidentaux s’inquiètent. La question, pour eux essentielle, est de savoir si les partis islamistes, notamment le plus puissant Ennahda, vont dominer ce scrutin. Et ils se demandent si la Tunisie est en passe de conclure sa « révolution » en donnant à l’Islam un rôle politique central.
L’insistance de la presse internationale reflète un tropisme des dirigeants occidentaux et des opinions publiques en Europe et aux Etats-Unis qui ont vu dans l’éviction de Zine El Abidine Ben Ali une victoire du peuple contre la dictature. Ainsi, les citoyens avaient-ils pris leur destin en mains: ils s’étaient fait entendre, et certains étaient morts pour se libérer. En quelque sorte, ce scénario apportait confirmation de la supériorité du système démocratique sur les autres formes d’ordre politique.
Les actuelles craintes des dirigeants occidentaux et des journalistes qui s’intéressent aux changements récents en Afrique du Nord ou au Moyen-Orient, apparaissent difficilement conciliables avec leur enthousiame originel. Aprés avoir salué la dignité retrouvée du peuple tunisien, ils semblent maintenant lui refuser de choisir dans les urnes par qui et comment il souhaite être dirigé.
L’épouvantail islamiste a été agité avec d’autant plus de force que des groupes extrémistes sont descendus récemment dans les rues de Tunis pour protester contre la diffusion à la télévision d’un dessin animé qui fait intervenir une image de Dieu. L’armée, qui depuis l’éviction de Ben Ali joue un rôle clef et discret, est intervenue trés à propos pour ramener l’ordre, et Ennahda s’est dissocié de ces débordements.
Ces préoccupations sur le destin de la Tunisie sont justifiées, mais elles sont loin d’être suffisantes. La Tunisie et ses dix millions d’habitants ont besoin d’un soutien qui va bien au delà des recommandations du bon usage de la démocratie. La rage des Tunisiens a été alimentée par le chômage, la pauvreté, et l’absence de futur. Neuf mois aprés leur révolution, ils vont voter pour ceux qu’ils considèrent comme les plus à aptes à les gouverner.
Et le reste du monde devra respecter leur choix, à moins de courir le risque d’une dérive à l’algérienne dont le souvenir devrait servir d’avertissement.
Washington Post