"J'écris de manière hystérique, je ne m'occupe que de ce que j'ai à faire" : c'est ainsi que le romancier Stéphane Audeguy m'a décrit son acte d'écriture, un après-midi d'automne devant la Villa Médicis où il fut pensionnaire d'avril 2009 à avril 2010, et se consacrait à un roman intriguant : la ville de Rome y prenait la parole !
Désormais, ce roman est paru fin août 2011 et s'intitule Rom@ : "Il arrive que Rome ait des moments d'absence. Il se passe alors des choses étranges : Audrey Hepburn reprend des vacances romaines, Mussolini du service, et des fauves de nouveau bondissent dans l'arène du Colisée. Quand le temps est hors de ses gonds, il ne reste aux hommes comme aux villes qu'à tenter d'en sortir : cela s'appelle l'amour". C'est ainsi qu'Audeguy nous entraîne dans des épreuves olympiques, à l'intérieur d'un jeu-vidéo en ligne intitulé Rom@ où les équipes internationales affrontent les déréglements du temps dont la seule échappée pour les héros est en effet l'amour.
Cet après-midi-là en 2009, nous avions réalisé ensemble un grand entretien dont une partie consacrée à Rom@, et qui est parue dans Le Magazine des Livres, le 15 septembre 2011. Ce qu'il faut ajouter au sujet de notre entretien, c'est son atmosphère. Imaginez les tombereaux de pluie dans notre échange (oui, il pleut à Rome, beaucoup même). Ecoutez le cri des étourneaux sansonnets par légions dans le ciel d'automne. Palpez cette forme de parole à brûle-pourpoint qui est celle de Stéphane Audeguy, parlant par associations d'idées, revenant soudain sur une question posée quarante minutes plus tôt et que le discours avait écartée, suivant une autre voie.
Son langage est ainsi une série de mouvements au gré des échos suscités par les mots, comme si sa pensée sortait des mots, refusant absolument la linéarité d'un raisonnement à la française. Dès le départ, je n'ai pas jeté un œil sur la liasse de questions préparées selon un ordre logique. Toutes étaient présentes dans la batterie de ma mémoire, je fis appel à elle en suivant les chemins multiples qu'empruntaient la parole nourricière d'Audeguy. Ou comment parler avec un encyclopédiste des temps anciens et actuels.
Par instants, il s'interrompait pour contempler les étourneaux qui picoraient le pot de terre derrière nous, avant de former un peu plus tard des ondées sonores. Ou bien, il montrait tout à coup le Palais de Justice romain, que l'on surplombait depuis notre colline, et déclarait avec humour : c'est une « atrocité en marbre, qui paraît-il s'enfonce dans le sol... C'est rassurant, il suffit d'attendre ».
Et au sommet de cette colline où se dresse la villa Médicis, c'était un peu nous trouver dans les nuages (et même dans La Théorie des Nuages :-), pouvoir les observer à lisière de ciel, une fois la pluie retirée, dans l'orangé de fin du jour, quand les étourneaux forment ces nuées aléatoires fascinantes comme un tableau mouvant et que des scientifiques de l'université romaine, La Sapienza, étudient malgré l'impossibilité d'en faire le tour.
A se demander si la Littérature, ce n'est pas cela, un vol d'étourneaux.
Laureline Amanieux.