Le sous-titre de cet ouvrage savant est "Jacques de Voragine et la Légende Dorée";
Un mot sur l’auteur : Jacques Le Goff (né en 1924) est l’un des spécialistes les plus éminents du Moyen-Âge. Assistant de Fernand Braudel, il dirigea, avec Emmanuel Le Roy Ladurie et Marc Ferro « Les Annales ». Tout est dit ! Il s’intéresse à l’histoire des mentalités : « mue par des mouvements profonds et continus, elle ne connaît pas de rupture brusque ». Du XIIIème siècle on retiendra l’attitude à l’égard de la femme, l’appréciation de la positivité du travail et l’omniprésence de la religion.
Pourquoi 153 ? Parce que, lors de la pêche miraculeuse, Pierre sortit de l’eau 153 gros poissons…La Légende Dorée fut compilée par Iacopo da Varazze, que nous appelons Jacques de Voragine, moine dominicain (ordre prêcheur), devenu évêque de Gènes, comme un ouvrage servant à la préparation des sermons par les prédicateurs.
L’essai de Jacques Le Goff est une merveilleuse explication de texte. C’est d’abord une défense et illustration de la compilation qui sait aussi devenir véritablement création. Jacques de Voragine cite ses multiples sources, choisit celle qui lui semble la plus pertinente, même parmi les ouvrages non reconnus officiellement par l’Eglise – les évangiles apocryphes par exemple, considérés comme pourvoyeurs d’informations historiques.
La clé de l’immense succès de ce livre dès sa parution : un engouement comparé par Jacques Le Goff à celui des films d’aventure par l’efficacité des récits et de « faits divers » merveilleux qui entourent la destinée des saints. La personne du saint est propre à la religion chrétienne. Sa caractéristique est d’avoir été choisi par Dieu pour se manifester sur terre à sa place comme instrument ou intermédiaire, par des miracles, des vertus ou un comportement exceptionnellement religieux dans son existence terrestre. Je comprends aujourd’hui aussi l’immense succès des reliques, découvertes, morcelées, réparties, achetées, vendues, volées, et du pouvoir qui leur était attaché au point de déclencher la construction de sanctuaires magnifiques et de provoquer des pèlerinages d’une amplitude énorme.
Ainsi le temps divin et le temps humain dialoguent dans un mouvement perpétuel qui est celui de la vie même du chrétien, saint ou non. A ce titre, la Légende dorée, « bestseller » absolu, a joué un rôle déterminant dans l'élaboration de la culture européenne, dont la conscience et la maîtrise du temps sont des éléments essentiels.
J’ai ici en mémoire les extraordinaires fresques de la Chapelle Brancacci à Florence racontant la vie de Saint Pierre, par Masaccio et Masolino (à droite : Saint Pierre guérissant un malade par son ombre). Et un excellent antidote au livre d’Eric Stemmelin, La Religion des seigneurs.
A la recherche du temps sacré, Jacques de Voragine et la Légende dorée, par Jacques Le Goff, dans la collection "Pour l'histoire" chez PERRIN, 275p. 21€.