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Un romancier nommé Dhôtel (II)

Par Siheni
   Dhôtel, comme Giono ou Bosco, par exemple, fut et demeura en effet un provincial envers et contre tout : probable d’ailleurs qu’il n’aurait jamais songé à quitter la bourgade qui l’avait vu naître ("Attigny la Coquette", comme il aimait à l’appeler) si les fantaisies de l’administration ne l’avaient successivement conduit, au fil des nominations, à Béthune, Provins, Charolles ou Coulommiers, puis enfin à Valognes, aux confins d’une Normandie bientôt bretonne. André Dhôtel, d’abord répétiteur à Saint-Omer, enseigna la philosophie jusqu’à la retraite. Or la philosophie s’enseigne partout : il l'enseigna même à Athènes, de 1924 à 1928. Mais rien ne l’empêcha pour autant de retrouver chaque fois des Ardennes dont il était devenu non seulement le chantre mais, entre-temps et comme malgré lui, la coqueluche voire le grand homme.
Un romancier nommé Dhôtel (II)
  
   Certains imaginent peut-être qu’il accueillit de tardifs hommages avec surprise ou embarras. Eh bien, ils se trompent : comme les poètes et les enfants, Dhôtel ne s’étonnait de rien. On se prend même à penser qu’à l’image de certains de ses personnages, il fut secrètement flatté de cette gloire, en se disant que la vie suit décidément un cours badin : "Je suis très touché par l’amitié ardennaise de ma chère ville d’Attigny dont je n’oublierai pas la fidèle attention". Bien des vieux de là-bas, si vous venez à les interroger, vous affirmeront de leur côté l’avoir souvent vu jadis en découdre seul avec les vents des tourbières chères à Bernanos, couché sur une pétrolette d’un autre âge. D’autres vous jureront l’avoir aperçu errant à pied, quelles que soient l’heure du jour ou de la nuit et l’humeur du temps, ne dédaignant pas s’enfoncer à l’occasion dans l’ombre d’un chemin, s’y arrêtant pour humer longuement le parfum d’une fleur, d’une herbe, d’un champignon prospérant dans la craie limoneuse d’une gravière, cherchant ensuite le filigrane d’un visage dans les remous du ciel, un de ces visages de hasard, improbables, dont maints héros demeurent à jamais prisonniers comme d’un destin qui ne tient à rien de moins qu’un rêve, semble nous assurer l’œuvre. Les uns et les autres auront évidemment raison : tel était Dhôtel.
 
   Dans cette cinquantaine d’ouvrages, pas facile d’opérer un choix, quand le temps lui-même y avait renoncé : voilà des années qu’on n’en lisait plus aucun. Même pas un purgatoire : le nom de Dhôtel n’évoquait plus rien. Quelques rares romans, pourtant, figuraient encore au catalogue de quelques éditeurs ; ils se desséchaient dans les recoins les plus sombres des librairies. Jean Paulhan avait pourtant affirmé que "la postérité, malgré ses célèbres caprices, rangerait un jour les livres de Dhôtel au seul rang qu’ils méritaient : le premier". On pensera que l’oracle s’était trompé. Voire. Aux lecteurs d’en décider à la faveur de la réédition par Phébus de douze d’entre eux parmi lesquels, pour notre part, nous en avons retenu trois : Lumineux rentre chez lui, Un Jour viendra, Ma chère âme.

   Une seule histoire, en somme, un seul héros pour ainsi dire multiplié par cinquante années : côté face, un jeune homme un brin rêveur, issu de petits-bourgeois bien comme il faut, s’y trouve en butte à la dure réglementation de la vie ; côté pile, le même jeune homme, comme s’il s’agissait d’une infirmité congénitale, n’a de curiosité que pour les paradis cachés de l’autre côté du miroir (qu’il s’agisse de Bertrand Lumin dans Lumineux rentre chez lui, de Antoine Marvaux dans Un Jour viendra ou de Petros Colydas dans Ma chère âme). De l’autre côté du miroir : comment appeler autrement ce dans quoi vous introduit un certain rapport aux images du ciel, aux fontaines des esplanades, à la poussée de l’herbe ou aux sourires illuminants des filles ? Encore ne s’agit-il là que d’accessoires assez définis pour tenir lieu de balises : il en est d’autres, moins repérables, qui tiennent davantage du frémissement intérieur. D’où une disponibilité de chaque personnage à n’importe quelle improvisation : tous d’incurables rêveurs. Promis à la connivence des hasards.

   La singularité des romans de Dhôtel réside d'abord dans ce décalage constant entre le héros et la réalité qui l'entoure : il ne lui reste qu’à s’échapper de celle-ci pour ne pas avoir à y périr d’ennui, ou de mélancolie. De cette fuite toujours recommencée d’un livre à l’autre s’ensuivent ces figures de vagabonds en recherche perpétuelle d’eux-mêmes, d’une vie autre, d’un bonheur différent.
   A suivre

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