Au pied des Alpes, petits gestes, grande cause

Publié le 17 octobre 2011 par Jean-Robert Bos

Alimentation, transports… Face à la hausse du prix du pétrole, le Trièves met en place la «transition», une série d’initiatives limitant la consommation d’énergie.

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Par LAURE NOUALHAT Envoyée spéciale dans le Trièves

Vaste cirque au fond mamelonné, le Trièves a tout du paysage bucolique de la ruralité oubliée. Situé au sud de Grenoble, façonné par les formes incisives des roches et la douceur des vallons, ce territoire est devenu depuis deux ans le laboratoire français de «la transition», un mouvement né en Grande-Bretagne en 2006, qui s’attache à réduire notre dépendance au pétrole.

L’idée est bête comme chou : le pic pétrolier étant dépassé, l’énergie va se raréfier, son prix se renchérir, il faut donc réduire la part de pétrole engloutie quotidiennement. La chasse au gaspi se fait dans les trois postes les plus énergivores : logement, transports, alimentation. C’est dans la ville de Totnes, dans le Devon, que Rob Hopkins, professeur de permaculture, a mis en œuvre cette résilience. Plantation d’arbres, utilisation de friches pour des jardins partagés, taxis alternatifs gratuits, microbarrage à réhabiliter… Toutes les initiatives sont bonnes pour la désintox. «Nous ne pourrons pas tout changer avant que le pétrole soit cher, plaide Benoît Thévard, en charge du site Avenir-sans-petrole.org. Et nous n’échapperons ni aux effets du changement climatique, ni à notre dépendance à l’or noir. Quelle sera notre capacité à absorber ces changements ? C’est le sens de la transition.»

Depuis 2009, date de la traduction de l’ouvrage de Hopkins, Manuel de transition, une centaine d’initiatives ont germé en France. «Le Trièves est le cadre idéal pour essayer l’après-pétrole», confie Pierre Bertrand, l’un des instigateurs de l’association Trièves en transition (TT). Pourquoi ? Parce que ce territoire est à taille humaine. Au pied du mont Aiguille, plus de 9 000 habitants se partagent 650 km2 de cols et de forêts, de champs de blé et de pâturages, soit 15 habitants au km2. L’agriculture, l’artisanat et la construction constituent la majorité de l’activité économique. Le réseau de transports est insuffisant; l’habitat individuel est majoritaire, autant d’éléments auxquels appliquer la transition.

Concrètement, ça ressemble à quoi ? A une gigantesque boîte à outils. Jeremy Light, un Britannique installé depuis dix-sept ans, pratique la permaculture. Outre ses ateliers de «fabrication de cuiseurs solaires et de nichoirs», il récupère tout ce qui traîne pour «créer une "ressourcerie" qui permettrait à chacun de réutiliser des objets usés».

La transition, une révolution à base de débrouille ? Un peu. On bine, on composte, on répare les vieux outils, les vélos, on expérimente à l’échelle individuelle.

Nathalie travaille à l’association Pour bâtir autrement, qui forme à l’autoconstruction et aux matériaux locaux. Elle vit à Mens, sans voiture, depuis trois ans. «Tous mes déplacements inutiles sont éliminés d’office. Pour les autres, je m’organise.» Covoiturage, bus, autostop solidaire, tout est bon pour se passer d’auto. Elle recourt notamment à la Twingo d’Olivier qui a inscrit sa voiture à Cityzencar, système de location entre particuliers. «Dans le Trièves, nos voitures meurent de la rouille», rigole-t-il. La transition, système D et liens sociaux ? Pas seulement. «C’est un mode de vie qui implique de relocaliser toute son existence - emploi, alimentation», explique Benoît Thévard. «Un monde qui fonctionne avec moins d’énergie est forcément rétréci car les possibilités d’aller ou de faire venir de loin sont réduites», complète Pierre Bertrand.

Même si les adeptes de la transition n’attendent pas l’engagement des élus, il est évident que la transition a besoin de ces derniers pour changer d’échelle.

Robert Cuchet et Jean-Paul Mauberret œuvrent tous deux au Syndicat d’aménagement du Trièves (SAT). En charge de l’Agenda 21 [un programme qui met en place le développement durable dans la région du Trièves, ndlr] depuis des années, ils sont très sensibles à la transformation de leur territoire en vue de l’après-pétrole. Si, grâce aux barrages hydrauliques et au soleil, ils peuvent faire du Trièves un territoire à «énergie positive» (qui peut produire plus d’énergie qu’il n’en consomme), leur préoccupation reste les transports. Ici, on compte peu de trains ou de bus, et une prédilection pour la voiture. Logique : 30% de la population active travaille à Grenoble, soit 1 200 personnes quotidiennement sur la route. «Voilà pourquoi les habitants du Trièves dépendent à 65% du pétrole, confie Pierre Bertrand, contre 45% pour la moyenne nationale.» Pour les élus, la solution est toute trouvée : «Il faut offrir plus d’activités économiques sur le territoire, plutôt que de réclamer l’extension de l’autoroute.» Facile à dire quand on vit à 50 km d’une technopole.

Côté assiette, la transition est aussi affaire d’élus. A Mens, la population résiste à chaque projet d’implantation de supermarché, «ce qui nous permet de maintenir les petits commerçants», signale Jeremy Light, le nez dans un steak haché certifié triévois. L’épicier se fournit en produits locaux, mais le coin manque de maraîchers. Cuchet et Mauberret aimeraient pouvoir «maîtriser le foncier : racheter des terrains pour installer de jeunes agriculteurs, transformer et consommer les produits sur place». Pour cela, il leur faut des outils, comme le Schéma de cohérence territoriale (Scot), en pleine révision, qui va déterminer les trente prochaines années de développement. «Nous essayons d’inscrire trois priorités : la baisse de la consommation d’espace ; la mixité sociale ; le frein à la périurbanisation. Avec cela, nous mettons le territoire en capacité d’entrer en transition.» Commencer aujourd’hui pour subir moins demain.

(1) La permaculture a pour but la conception, la planification et la réalisation de sociétés humaines écologiquement soutenables, socialement équitables et économiquement viables.