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Coup éditorial (suite)

Publié le 17 octobre 2011 par Toulouseweb
Coup éditorial (suite)Le pilote-écrivain a peut-être rendu service à tout le monde.
Jean-Paul Troadec, directeur du BEA, réclame des sanctions pénales après la divulgation de la transcription intégrale des dernières minutes d’enregistrement du CVR du tristement célèbre vol AF447. Jean-Pierre Otelli, auteur du livre par lequel le scandale est arrivé, ne donne pourtant pas l’impression d’être dépassé par les événements : on ne le voit pas à la télévision mais on l’entend à la radio. Et, de toute évidence, il ne se pose pas de questions métaphysiques sur son scoop et le beau coup éditorial qu’il a apporté à sa maison d’édition, Altipresse.
Fait rare, le jour-même de l’arrivée en librairie de l’opus d’Otelli, le BEA a diffusé un communiqué inconditionnellement réprobateur : «le BEA condamne fermement la divulgation de cette transcription qui est une violation de l’article 14 du règlement européen en date du 20 octobre 2010, entré en vigueur le 2 décembre 2010». Et d’ajouter que la reprise de conversations personnelles au sein de l’équipage, sans lien avec l’événement, constitue un manque de respect pour les disparus.
En fait, dans cette affaire, c’est surtout le non-dit qui interpelle. Par exemple une émission d’une heure, sur RTL, consacrée de bout en bout au seul chapitre AF447 de ce cinquième tome de la série brutalement intitulée « Erreurs de pilotage ». Une pièce d’anthologie que cette émission, d’autant qu’il est rare que des ondes bienveillantes consacrent soixante longue minutes à un seul bouquin. Mais, ce jour-là, Otelli n’était pas reçu par n’importe qui ! Il était en effet l’invité de l’ineffable Jacques Pradel, chantre de la radio réalité, dont le ton constamment empreint de commisération arrache des larmes aux auditeurs avant même qu’il ait fini de poser sa première question.
Le bon docteur Pradel, qu’accompagnait pour l’occasion notre confrère Pierre Julien, n’en a pas moins fait dans la banalité. Tout au plus a-t-il fait dire à Otelli : «oui, c’est un sujet sensible, je m’attendais à des réactions épidermiques». Mais lesdites réactions n’ont pas vraiment été évoquées, ou alors elles l’ont été pendant les tunnels de pub. De toute manière, Otelli, patient, posé, très pro, a eu le dernier mot : «je n’accuse pas, je raconte des faits». Le problème, le seul problème est qu’il disait la vérité.
Le CVR n’apporte en effet aucun élément nouveau au sacro-saint «grand public». La nouveauté, c’est la divulgation in extenso des échanges entre trois hommes installés dans la confusion et qui ne comprennent pas qu’ils vont mourir quelques dizaines de secondes plus tard, avec leurs collègues de cabine et tous leurs passagers. Un verbatim tragique qui confirme, illustre, détaille, ce que les trois rapports d’étape du BEA nous avaient déjà dit.
L’essentiel est ailleurs : comment le texte du CVR est-il venu jusqu’à l’auteur ? Il n’y a évidemment pas de réponse à cette question et cela ne se fait sans doute pas de la poser. Mais, pour la bonne forme, à tout hasard, juste pour voir par quelle pirouette Otelli contournerait l’obstacle, le duo Pradel-Julien aurait quand même dû tenter sa chance et aborder la méthode utilisée, de toute évidence «borderline», diraient certains animateurs branchés.
A qui profite le crime ? Certainement pas au BEA, moins encore à la gendarmerie des transports aériens, bras armé de la Justice qui, il faut le rappeler, a d’ores et déjà mis Airbus et Air France en examen pour homicides involontaires. Le bras de fer entre l’avionneur et la compagnie aérienne s’annonce violent et, du coup, on en arrive à se demander s’il n’a pas déjà commencé. Poser la question, c’est y répondre. Côté personnel navigant, que l’on n’entend guère ces jours-ci, les pilotes savent qu’ils ont là tout à perdre, en termes d’image tout au moins. C’est à eux que le CVR fait le plus mal.
Enfin, autant le dire clairement, une remarque provocatrice vient à l’esprit : il convient de réprouver la méthode Otelli, certes, mais notre homme a peut-être rendu bien involontairement sacré un service à tout le monde. Il a en effet simplifié la situation, décomplexé les intervenants, mis sur la place publique des éléments d’information, d’appréciation, qui auraient de toute manière abouti dans le rapport final du BEA annoncé pour la mi-2012. Expurgé, certes, ce qui se justifie par pudeur mais crée à chaque fois le doute. Or, dans le cas présent, rien de gênant, d’embarrassant ou d’impudique ne s’est dit dans le cockpit de l’A330 et il n’y a donc pas de dommages collatéraux de ce côté-là.
Dimanche, sur France Info, Jean-Paul Troadec a dit à notre confrère Frédéric Béniada que la dimension morale de l’affaire le choque. Le patron du BEA réprouve que quelqu’un gagne ainsi de l’argent, sous-entendu grâce à ce coup éditorial. La remarque est incontestablement judicieuse. Mais ce n’en sans doute plus la peine de la formuler, il n’y a ici aucune place pour la morale.
Du coup, une conclusion provisoire commence à prendre forme, une brève interrogation : tout ça pour ça ? Otelli mérite-t-il ce traitement de star ? Pas sûr !
Pierre Sparaco - AeroMorning

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