Pluie presque diluvienne ce 3 juillet 2011 sur Takamatsu, vous vous en souvenez peut-être, je vous avais envoyé une carte postale avec le héron s'abritant sous un pin, et puis il y a eu, ici, les lotus de l'étang du Ritsurin koen.
Alors que la pluie redoublait d'intensité, je me suis, moi aussi, abritée, pas sous un arbre, mais dans la chambre de thé qui se trouve près de l'étang aux lotus.
Une simple cabane
"La chambre de thé - suki-ya - ne prétend pas être autre chose qu'une simple cabane - une hutte de paille, ainsi que nous l'appelons. Les caractères originaux composant le mot suki-ya signifient "Maison de la Fantaisie". Par la suite, les différents maîtres y ont substitué certains caractères chinois, traduisant leur conception personnelle de la chambre de thé ; ainsi suki-ya peut encore désigner la "Maison de la Vacuité" ou la "Maison de l'Asymétrique". La chambre de thé est à l'évidence une Maison de la Fantaisie puisqu'elle apparaît comme une structure éphémère construite à seule fin d'abriter une impulsion poétique. Elle est aussi une Maison du Vide en ce qu'elle est dénuée de toute ornementation, hormis ce qui peut y être placé pour satisfaire une nécessité esthétique passagère. Elle est, enfin, une Maison de l'Asymétrique parce qu'elle se voue au culte de l'Imparfait, et qu'on y laisse volontairement une part d'inachevé que le jeu de l'imagination peut compléter à sa guise. Depuis le XXe siècle, les idéaux de la voie du thé ont exercé une telle influence sur notre architecture que l'intérieur japonais d'aujourd'hui paraît presque dépouillé aux yeux d'un étranger, tant sont extrêmes la simplicité et la pureté de sa décoration."
Une profonde méditation artistique
"A l'origine, la chambre de thé n'était qu'une partie d'un salon ordinaire séparée du reste de la pièce par des paravents. Cet espace fut appelé kakoi (enclos), nom que l'on donne encore aujourd'hui aux chambres de thé aménagées à l'intérieur d'une maison.
Le suku-ya se compose de la chambre de thé proprement dite, conçue pour ne pas abriter plus de cinq personnes - nombre qui évoque le dicton Plus que les Grâces et moins que les Muses - ; d'une antichambre (mitsuya), où l'on lave et prépare les ustensiles nécessaires avant de les apporter dans la chambre ; d'un portique (machi-ai), où les invités attendent jusqu'à ce qu'on les convie à entrer, et d'une allée (roji) reliant le portique à la chambre de thé. Celle-ci est d'apparence modeste, plus petite même que la plus petite des maisons japonaises - et les matériaux employés pour sa construction doivent suggérer une pauvreté raffinée. Tout cela, ne l'oublions pas, est le fruit d'une profonde méditation artistique ; les détails ont été ici exécutés avec une attention plus grande encore que celle apportée à la construction des temples ou des palais les plus somptueux. Une bonne chambre de thé coûte plus cher qu'une habitation ordinaire, car le choix des matériaux, comme leur mise en oeuvre, exige un soin et une précision immenses. Les charpentiers employés par les maîtres de thé forment du reste une corporation artisanale et distincte et hautement considérée, dont les oeuvres sont réputées aussi délicates et précieuses que celles d'un fabricant de meubles laqués."
L'art de la simplicité
"La simplicité et la nature épurée de la chambre de thé résulte de l'émulation inspirée par l'architecture zen.
Tous adeptes du zen, les grands maîtres de thé s'efforcent d'introduire l'esprit de cette philosophie dans la matière même de la vie. Aussi la chambre de thé et l'ensemble du matériel nécessaire à la cérémonie apparaissent-ils comme les reflets de la doctrine. Les dimensions de la chambre de thé orthodoxe, à savoir quatre nattes et demie ou six pieds carrés, sont déterminées dans un passage du soûtra de Vimalakîrti. Selon cet ouvrage admirable, Vimalakîrti reçut un jour le bodhisattva Manjushrî, accompagné de quatre-vingt-quatre mille disciples du Bouddha dans une pièce de cette dimension - allégorie fondée sur la théorie de la non-existence de l'espace pour les vrais éveillés. En outre, le roji, cette allée de jardin qui mène du portique à la chambre de thé proprement dite, symbolise le premier stade de la méditation - le passage dans l'auto-illumination. Traverser le roji, c'est rompre tout lien avec le monde du dehors et découvrir une sensation de fraîcheur préparant à la jouissance esthétique de la chambre de thé elle-même."
Un idéal de propreté
"L'anecdote suivante témoigne assez de cet idéal de propreté cher aux maîtres de thé.
Un jour, Rikyû regardait son fils Shoan occupé à balayer et à arroser l'allée du jardin.
"Pas assez propre !" décréta le maître quand son fils eut achevé sa tâche, et il le somma de recommencer. Après une heure de travail épuisant, le jeune homme se tourna vers Rikyû :
- Père, dit-ils, je ne puis rien faire de plus. J'ai lavé trois fois les dalles, arrosé les lanternes de pierre et les arbustes ; la mousse et les lichens brillent comme une verdure rafraîchissante. Je n'ai pas laissé la moindre brindille ni la moindre feuille sur le sol.
- Jeune sot, le tança le maître. Ce n'est pas ainsi qu'il convient de balayer une allée.
Sur ces mots, Rikyû descendit dans le jardin, secoua un arbre et répandit ça et là des feuilles d'or et de pourpre, comme autant d'éclats d'un brocart automnal. Car Rikyû n'exigeait pas seulement la propreté, mais aussi une beauté qui ne parût point artificielle."
Extraits de l'ouvrage de OKAKURA Kakuzô "Le Livre du thé"
Photos prises à Takamatsu (Shikoku) le 3 juillet 2011