« Être partour c’est être nulle part », Sénèque (cité par Nicholas Carr)
Quatrième de couv’ : Faites donc ce petit test : prenez le temps de tranquillement lire ce livre… Sans aller surfer sur Internet. Vous n’y parvenez pas ? C’est que Nick Carr a raison : Internet a déjà modifié votre cerveau !
C’est bien sûr à une révolution technique et informationnelle que nous assistons avec Internet. Mais c’est surtout à une révolution dans notre cerveau ! Vous aviez l’habitude de lire tranquillement et de façon linéaire un livre sur lequel vous portiez toute votre attention. Cela pouvait durer des heures pendant lesquelles vous, lecteurs, vous immergiez dans le monde singulier d’un auteur, en y mettant toute la concentration que vous désiriez. Regardez maintenant ce qui se passe quand vous vous connectez à Internet. Vous zappez de page en page par des liens qui vous promènent ici et là, et pendant ce temps vous êtes aussi bombardés de messages, parfois d’alertes vous informant qu’un mail vient de vous arriver ou qu’une nouvelle récente vient de mettre un blog ou un site Web (sur un flux RSS) à jour…
Que se passe-t-il alors dans notre esprit ? En quoi cet environnement électronique change-t-il notre état mental, voire notre comportement social ? Ne serons-nous bientôt plus capables de nous concentrer plus de quelques minutes sur un texte ? N’allons-nous pas nous contenter de picorer ici et là quelques bribes (de textes, de vidéos, de messages audio) ? Notre cerveau, incroyablement plastique, s’adapte très vite aux nouvelles technologies et à leurs nouvelles tentations… Quels sont les avantages et les inconvénients de ces changements pour notre esprit ?
Nicholas Carr pose ici une question fondamentale : quel monde nouveau l’Homo sapiens vient-il de se forger et y résistera-t-il ? Dans un détour historique passionnant, il nous rappelle que l’homme s’est constamment créé de nouvelles façons de penser. D’abord en inventant l’écriture (Sumer, les hiéroglyphes égyptiens…, et le passage de la culture orale à l’écrit) puis en faisant évoluer la lecture (devenue silencieuse après des siècles ou elle se fit à voix haute). L’imprimerie lui a fait accomplir un saut nouveau dans l’accès à la connaissance. Et jusqu’à très récemment, la capacitéà se concentrer dans la lecture, pour tout apprentissage, a été au coeur de notre mode d’éducation.
Que va-t-il se passer maintenant que des professeurs d’université – même en littérature – ne parviennent plus à faire lire leurs étudiants (Guerre et Paix, À la recherche du temps perdu… c’est bien trop long). Internet va-t-il nous rendre bêtes, comme le laissent entendre certaines études scientifiques ? Comment les générations futures vont-elles penser ?
Sur l’auteur : Nicholas Carr, membre du comitééditorial de l’Encyclopedia Britannica, est un des éditorialistes anglo-saxons les plus connus, ayant écrit pour le New York Times, le Wall Street Journal, le Guardian britannique, le magazine culte Wired. Il tient un blog fameux baptisé« Rough type ».
Les algorithmes de classement de Google et son référencement systématique peuvent-il nous rendre stupide ? demandait Nicholas Carr dans la revue Atlantic. En d’autres termes, la mécanique d’Internet modifie-t-elle nos capacités de concentration, d’attention, de mémoire ? Certains en sont convaincus (parmi eux l’auteur d’Internet rend-il bête ?), d’autres attendront de voir à l’usage prolongé si notre cerveau n’est pas capable de muter, quand bien même nombre d’entre nous sont noyés par la somme des informations stockées en ligne…
A travers, ce livre Nicholas Carr montre que notre cerveau n’a pas le temps de s’approprier la multitude d’informations que nous emmagasinons en surfant et que la modification de la forme d’un média modifie aussi son contenu. En d’autres termes, un journal en ligne n’est plus un journal, un ebook contenant des liens hypertextes n’est plus un livre…
Nicholas Carr recense les différences entre le monde de la page et celui de l’écran, l’évolution fulgurante du Net et les modifications qu’il apporte inévitablement au fonctionnement de notre cerveau. Comme pour la musique ou le cinéma, Internet fait déjà de la lecture de journaux et bientôt de romans une expérience sociale et parfois participative. Le référencement induit une simplification de l’écriture autant qu’une diminution du travail effectué sur le langage au profit d’une navigation rapide, en diagonale.
Une rapidité de lecture qui est paradoxalement faite d’un nombre incessant d’interruptions et de distractions qui nuisent à la pensée profonde. A cela la lecture multitâche ajoute une confusion supplémentaire expliquant sans doute pourquoi ce que nous lisons s’est volatilisé une fois notre ordinateur éteint (pour ceux qui arrivent à se déconnecter). Selon l’auteur de cet essai, la Toile est d’une richesse sans borne mais nous n’avons pas encore réussi à dompter ces flux d’informations plus distrayants que réellement enrichissants puisque nous ne prenons pas le temps de les assimiler.
Est-ce la faute de Google qui fait des messages publicitaires et de cette distraction permanente son business (au même titre que la radio, et la télévision) ou bien de l’internaute pressé qui préfère cet enrichissement de l’instant, volatile, à la vraie connaissance durable (qui nécessite elle du temps et la répétition) ?
L’ouvrage de Nicholas Carr est très annoté et documenté et il permet une meilleure compréhension du fonctionnement de la mémoire afin d’optimiser ses performances, tout comme le développement d’un savoir. Avec un recul saisissant, l’auteur nous invite à réfléchir aux médias que nous utilisons quotidiennement, si pratiques qu’ils nous ont fait oublier le papier.