Relais Louis XIII (** Michelin) par Patrick Faus.#
En retard d’une époque ou en avance sur son temps ? Aucun de ces deux critères formulés par une époque formatée ne s’applique à ce restaurant niché au cœur du vieux Paris, tendance rive gauche. Le chef Manuel Martinez est plutôt du genre à se raser tous les matins et ne songe toujours pas à se faire tatouer. Par contre, il a passé le concours du Meilleur Ouvrier de France et l’a eu en 1986. Devant ses fourneaux, il sait quoi faire d’un ris de veau, d’une volaille, ou d’encornets arrivés du matin. Un perfectionniste, un artisan à la virtuosité sans égale, pas un créateur à tous crins mais plutôt un homme qui comprend par instinct, par savoir faire et par expérience ce que l’on peut tirer de mieux d’un produit et avec qui on va le marier. Il respecte l’apprentissage classique et les codes éternels de la cuisine tout en enlevant ce qui n’apporte plus rien aujourd’hui. Il dépoussière, nettoie, va à l’essentiel. Il cuit au millimètre, comprend l’essence d’un produit, l’enlumine, le respecte, et le sert. Magnifique et éternel Manuel Martinez, à la croisée du bon chemin et qui garde le bon cap. On se prend à s’étonner en arrivant dans sa belle salle classique, poutres d’origine et tentures, devant le confort des sièges, les assiettes rondes, les couverts qui ne sont pas sur la tranche, les serviettes larges et douces, le service proche et presque familial qui n’est pas en représentation puisque l’assiette se suffit à elle-même… et largement.
Les amuse-bouches en figure imposée sont le plus souvent agaçants. Ici, ce sont plutôt des cadeaux de bienvenu pour amateurs gourmets. Juste un petit Velouté de haricots tarbais, délicat, crémeux, subtil, délicieux. Un velours pour le palais. Avec des haricots tarbais, il faut le faire ! Il le fait, ce qui augure bien. La suite est un choc culturel avec un Pâté en croûte au foie gras et cèpes qui vous laisse sur le carreau, un peu comme ces boxeurs qui prennent un coup dès le premier round et qui ne s’en remettent pas de tout le match. Son pâté, c’est ça. Un truc de fou, à peine humain. Et il en fait comme ça chaque semaine. Le travail, toujours. Revenir sur l’ouvrage, encore. La croûte est magnifique, l’intérieur est beau comme une cathédrale ! On le mange, c’est trop bon. On peut arrêter le pâté en croûte après ça, ou alors commencer à tous les goûter… pour voir. C’est peut-être ce que l’on va faire à Gourmets&Co. Il inspire, Martinez, il provoque des vocations.
Ensuite, c’est un festival qui ne se mesure plus à l’aune du bon mais de l’excellent, du fantastique ou du « on ne croyait plus le revoir ». Encornets à la crème. L’encornet définitif : fraîcheur, cuisson, texture, sauce. Jean-François Piège disait : « la cuisine française, c’est les sauces ! » Vrai, surtout ici. Mignon de veau, cèpes, jus de cuisson. Le nec plus ultra de la cuisine française dans votre assiette. Il y a de la sole de ligne farcie d’une duxelle de champignons sauvages, suc de sole crémé ; un Ris de veau braisé aux échalotes grises, petits macaronis farcis de cèpes lié au jus de tomates « green zebra ». Il y a des desserts. Son célébrissime Millefeuille, crème légère à la vanille bourbon, fidèle et même au-delà à sa réputation d’être le meilleur de la capitale. Une Poire pochée, mousseline caramel, sorbet poire, noix. Magnifique alliance des premiers fruits de l’automne. Que dire d’autre ? Que la carte des vins est superbe, riche, large, et le sommelier l’explore avec talent. Que Manuel Martinez gère avec une aisance incroyable le thème éternel de la tradition et de la modernité. Il est au-delà du va-et-vient des vagues et de l’écume des jours. Il est un phare, un ancrage pour ceux qui se sentent dans le brouillard des brouillons de la cuisine d’aujourd’hui. Le pire est que cet homme est un phénomène, une nature naturelle, franc, direct, et d’une modestie qui rappelle les grands, les Troisgros, les Ducloux et autres Bise. Fermez le banc et à table !
Cinq questions à Manuel Martinez
Trois dates essentielles de votre carrière ?
1986 : Meilleur Ouvrier de France. L’arrivée à La Tour d’Argent en 1987 où j’ai conservé les trois étoiles Michelin pendant huit ans. 2001 : deux étoiles au Michelin, chez moi, au Relais Louis XIII. J’ai aimé la cuisine grâce à ma grand-mère Jeanne qui avait un tout petit bistrot sans enseigne où les gens venaient manger. J’étais toujours dans ses jupes et je sentais le poulet rôti, les navarins d’agneau ou le pot-au-feu. C’était dans le Pas-de-Calais. Après, mes parents sont venus à Paris.
Trois personnages qui vous ont marqué ?
Ma grand-mère. Claude Terrail à La Tour d’Argent, un homme droit, un vrai restaurateur. Il m’a pris car il cherchait un chef qui avait deux étoiles Michelin, MOF, et qui n’était pas patron de son restaurant. En France, à ce moment-là il n’y en avait qu’un… c’était moi ! Enfin, Monsieur Poindessault, l’ancien propriétaire du Relais Louis XIII, assureur et homme extraordinaire qui m’a toujours fait confiance.
Comment qualifiez-vous votre cuisine ?
Une cuisine classique mais que j’allège de plus en plus en gardant les bases classiques. La tradition revient et heureusement car je vois des restaurants où l’on mange des petits carrés ou des herbes bizarres comme j’ai vu chez Noma à Copenhague. J’ai mangé un poireau, un bout était frit l’autre bout non. J’ai pas compris.
Trois plats qui vous ressemblent ?
La Quenelle de sandre, mousseline de champignons, glaçage champagne. Le ravioli de homard, foie gras, crème de cèpes. Le Millefeuille. Un dernier : le sorbet citron/basilic, très repris mais au départ c’est moi.
Vos deux dernières émotions ?
Puligny-Montrachet « Les Pucelles » 1999, de chez Anne-Claude Leflaive. En restaurant : El Celler de Can Roca, en Espagne, à Girona, trois étoiles Michelin.
Relais Louis XIII (** Michelin)
8, rue des Grands-Augustins
75006 Paris
Tél : 01 43 26 75 96
www.relaislouis13.com
M° : Odéon
Fermé dimanche et lundi
Menu : 50 € (déjeuner) – 80 € (dîner) – 130 € (dégustation)
Carte : 110 € environ