Il était autour de 18h30 dans la salle 2 du St-André des Arts. Perché au sixième rang, exactement au centre de l’écran, à l’instant précis où dans la rue repassait pour la troisième fois de la journée un mec en pousse-pousse cycliste, à la seconde exacte où un pigeon se posait tranquillement sur la tête de la statue de Molière rue de Richelieu, au moment même où Sébastien V., 34 ans, assis au Gaumont Marignan devant Les Trois Mousquetaires 3D, se disait que finalement, il aurait dû prendre du pop corn à grignoter devant le film, oui à cet instant-là, j’ai versé une larme devant un film du Festival Franco-Coréen du Film.
Ce n’était pourtant pas le film que j’attendais le plus en ce samedi, cinquième journée du festival. Cette étiquette était réservée à Anti-Gas Skin, le film annoncé si strange du duo Kim Gok et Kim Sun. Et strange, il l’est bel et bien, mais comme End of Animal la veille, il est des raisons de se demander si faire du cinéma étrange, profondément énigmatique et potentiellement métaphorique est un gage de qualité en soi. Je ne renie aucunement la nécessité de montrer et voir un film tel que Anti-Gas Skin, mais je me demande s’il y a autre chose à en tirer qu’un paluchage interprétatif post-projection. Car dans la vérité et le plaisir immédiat, le film me pose problème.
En guise de présentation, la programmatrice nous a notamment mentionné l’hommage voulu dans le film à Robert Altman, et je vois bien que dans ces destins croisés de citadins, les cinéastes lorgnent en effet sur le Altman époque The Player et Short Cuts, bien sûr dans une lignée fantaisiste. Le problème principal de Anti-Gas Skin réside dans son incapacité chronique à faire naître tout enjeu scénaristique. Chaque scène nous plonge dans l’expectation d’une tension à naître qui finalement n’arrive jamais. Chaque scène induit des évènements imminents qui ne pointent jamais le bout de leur nez. Chaque agencement du montage, chaque enchaînement d’un plan à l’autre, induit une dangerosité qui en fait ne décolle jamais et reste à l’état larvaire. La folie reste circonscrite à une impression.
J’avais envie de très vite retourner en salle pour un film plus direct, après cette déception de constater que mon film le plus attendu de la journée s’était posé sans faire de bruit alors que j’attendais un crash violent. Hello Ghost semblait un film gentil et sympathique à même de calmer ma frustration. Mais la douleur dans laquelle le film a commencé à être projeté m’a fait un temps pensé que j’étais peut-être embarqué pour une journée maudite. Pendant un bon quart d’heure (voire même un peu plus), le projectionniste du St-André des Arts s’est montré incapable de faire la mise au point sur la copie. L’image restait désespérément floue tandis que la salle se tournait régulièrement vers lui, abasourdie de constater que le film se déroulait sous nos yeux sans qu’on le voie vraiment (alors que les sous-titres eux, projetés de la salle elle-même, étaient tout à fait lisibles).
Enfin. Au bout du compte, je suis peu à peu parvenu à rentrer dans la vie de Sang Man, ce jeune homme suicidaire qui après une tentative ratée de mettre fin à ses jours se réveille à l’hôpital et découvre… qu’il peut voir les morts. Quatre en particulier qui ne le lâchent pas, deux hommes, une femme et un enfant. Décidé à s’en débarrasser, Sang Man accepte de les aider à accomplir chacun une volonté. Avec ma difficulté à rentrer dans le film en raison des problèmes techniques pourtant, le film semblait d’emblée un peu faiblard.
Mais à force, on finit par trouver les personnages attachants, et malgré un décalage de quelques secondes dans l’affichage des sous-titres qui faisait tomber à plat nombre de répliques, Hello Ghost prenait lentement mais sûrement le chemin de la comédie réussie, drôle avec quelques grains de folie. Et puis sans prévenir, le missile est tombé. Alors que le film se dirigeait vers une sortie appropriée et sage, Kim Yeong-Taek, le réalisateur, a sorti sa botte secrète. Un twist final inattendu nous bombardant d’émotion. Tout à coup je me suis senti con. « Nan. Nan. Nan attend c’est pas vrai. Qu’est-ce qu’il me fait là. J’y crois pas. Pas ça. Nan. Oh le con il va me faire chialer. Je le sens ça monte là. Ca y est j’ai les yeux humides je le sens. Attend attend. Ah d’accord carrément. Je l’ai pas vu venir celle-là. Oh merde ça y est j’ai la larme à l’œil. Le salaud il m’a bien eu ». Partout dans la salle, les nez reniflaient, les mouchoirs s’activaient. Hello Ghost ne promettait pas grand-chose, mais parfois, c’est lorsque l’on en attend le moins que l’on se laisse le plus emporté, et c’est ce qui est arrivé en fin d’après-midi lorsque ma larme a coulé devant cette comédie sensible.
Du coup, la conversation qui s’est engagée avec le cinéaste m’a peu passionnée, à l’exception d’une question posée par Pierre Ricadat, l’un des programmateurs du festival, à propos de l’école de cinéma dont Yoon est issue. Le réalisateur nous a éclairés sur le fonctionnement de cette école, et les informations étaient assez passionnantes. Le reste des questions et réponses ont manqué de proprement m’intéresser, du fait de ma méconnaissance du personnage. Je ne mentionnerai même pas quelques questions du public qui se sont révélées… étonnantes pour rester diplomatique. J’aurais sûrement mieux fait de zapper la rencontre pour aller manger tranquillement (choses que j’ai peu fait depuis le début du festival) avant la dernière séance du jour, Invasion of Alien Bikini.
J’ai découvert en voyant le film que le déploiement de la rumeur sur l’absence de bikini dans le film était en fait la petite bête cherchée par des spectateurs pointilleux. Certes, ils ont raison, on ne trouve point d’Alien en bikini dans Invasion of Alien Bikini. En réalité, l’alien en question passe les trois-quarts du film en sous-vêtements plutôt sexy qui lui vont à ravir (oui, l’Alien a les traits et le corps d’une ravissante jeune femme, elle ne mesure pas 2m50 et n’est pas bleue). Bon, c’est déjà ça de pris. Et le reste ? Le reste, c’est une comédie parodique et absurde souvent délirante ou un justicier anonyme de Seoul sauve une belle jeune femme qui se fait agressée par une bande de mecs. Il la ramène chez lui, elle tente de le séduire, car il ne sait pas qu’elle est une Alien cherchant à se reproduire…
Non, Invasion of Alien Bikini ne restera pas dans les annales, probablement même pas dans les annales des nanars et autres séries B tendance Z rendant hommage à l’amour de l’absurde. Mais il y règne dans sa première partie une telle vigueur comique (l’intrigue interrompue par une coupure pub pour Rolex, c’est divin) qu’on peut bien lui pardonner de n’être qu’une gentille comédie SF délirante. Un samedi soir, entre 22h et minuit, c’est le genre de films qu’il est savoureux de se coller au palais dans une ambiance de festival. D’autant plus qu’il confirme le grand écart osé par les programmateurs et laisse penser qu’après les surprises, bonnes ou mauvaises, du jour, le FFCF 2011 peut encore nous étonner. Tant mieux.