Par moment, les cadeaux viennent très naturellement nous joindre. Nous n’en connaissons pas toujours l’origine, mais nous savons qu’ils nous sont destinés. Ils inaugurent des moments intenses. Ils nous encerclent. Ils ne nous lâchent pas.
Par deux fois en quelques jours, je suis resté figé à l’écoute du concerto pour piano en sol majeur de Ravel. Et bien sûr tout particulièrement de l’adagio central. Je ne sais pas pourquoi, à chaque fois que ce long ruban musical vient me retrouver, je crois qu’il s’agit d’un signe de bon augure. Pour tout dire, d'un signe de bonheur partagé. Ce n’est rien dire de nouveau que désigner Ravel comme mon compositeur préféré. Sans doute ne se compare-t-il à personne. Je me plais à imaginer qu’il dialoguait facilement avec les dieux. Comme le faisait Mozart. Et que si on a eu de tout temps du mal à comprendre pourquoi ce gamin un peu sauvage avait reçu cette visite particulière de l’ange, on le comprend encore moins pour cet individu d’une élégance un peu perdue, voyageur troublé par le voyage, perdu dans la vie quotidienne et dont la correspondance avec Manuel Rosenthal relue cette semaine sur France Musiques, donne à penser qu’il connaissait sans vraiment le savoir l’origine de ses divinations. Il semblait toujours pris par un doute : savoir s’il avait été lui aussi distingué par un ange ou s’il avait passé un pacte avec le diable, tant ses morceaux les plus échevelés constituent de véritables trous noirs dans lesquels tout est absorbé, tout disparaît.
Martha Argerich en donne une interprétation à hauteur de l’objet non identifié que Ravel nous a laissé, sans un véritable mot d’explication sur la manière dont il lui est advenu. Elle fait partie du petit nombre de ceux qui savent lire à la surface des météorites.
Un terme me vient à chaque écoute : contemplation. En revenant à l’origine du mot, je sais qu’il s’agissait de choisir le meilleur emplacement pour un temple, templum. Mais je découvre que le templum est également une pratique divinatoire venue des Etrusques, au travers des Grecs, qui consiste à délimiter à l’aide d’un bâton l'emplacement de ce que l’on veut fonder ou construire. Et plus encore, de déterminer avec ce bâton l’espace du ciel dans lequel le vol des oiseaux pourra être interprété par les augures.
Comment ne pas comprendre que ces deux musiciens ont été, par un étrange miracle, désignés comme des héritiers naturels des prêtres anciens. Et quelques autres, qui les interprètent divinement, choisis pour parler à leur place, une fois qu’ils ont disparu.
Et pour nous aider à contempler les instants de bonheur et à délimiter les emplacements de nos amours.