La route vers la paix en Afghanistan n’est jamais apparue aussi obscure. Aussi, après plus de trois décennies de guerre, les Afghans ne savent pas ce qui les attend dans les années à venir. Toutefois, il est clair que l’évolution en cours du contexte politique, à travers le retrait progressif des troupes de la coalition internationale, aura un impact majeur sur la situation des droits humains dans le pays.
La situation sécuritaire, quant à elle, se dégrade de manière fort préoccupante. L’intention des insurgés semble, d’après des actes de terreur récents tels que l’assassinat du président du Haut Conseil pour la Paix, Burhanuddin Rabbani, ne pas être la réconciliation mais le départ anticipé des troupes internationales, qui leur permettra d’imposer leurs termes dans le nouvel équilibre des forces . Les Talibans ont d’ailleurs déjà infiltré certaines structures du pouvoir. L’aptitude actuelle du gouvernement afghan à garantir l’État de droit et la sécurité est très incertaine, comme le prouvent les attaques lancées par les insurgés au cœur de Kaboul, et la perte de contrôle effectif sur de nombreux districts voire de provinces entières.
Depuis 2001, des milliers de civils ont été tués au cours d’opérations militaires et d’attaques par les insurgés talibans ou les troupes de la coalition. Tout cela s’est déroulé en totale impunité et en l’absence d’observateurs neutres et indépendants. Il est désormais confirmé que des centres secrets de détention, où la torture est couramment pratiquée, ont été mis en place par des pays à la tête de la coalition. Les personnes responsables de tels crimes de droit international doivent être jugées et condamnées conformément aux standards internationaux. Depuis 2007, le Procureur de la Cour pénale internationale (CPI) mène une analyse préliminaire des crimes commis par tous les acteurs en Afghanistan, y compris les acteurs internationaux, sur la base de communications reçues et afin d’évaluer la nécessité d’ouvrir une enquête. L’Afghanistan est devenu un État Partie au statut de la CPI en février 2003.
Au-delà du conflit, de nombreux documents, dont certains issus des Nations unies, apportent la preuve que les Talibans et leurs alliés ont été les principaux auteurs d’exactions et de violations des droits humains contre les populations civiles depuis 2001. Le contexte actuel rappelle d’ailleurs étrangement la période pré-2001, lorsque les Talibans étaient au pouvoir. En effet, l’absence d’un système judiciaire fiable, ainsi que la prolifération de différentes formes de justice parallèle, permettent la commission de nombreuses violations : assassinats extrajudiciaires, torture, persécution envers les femmes et les minorités, trafics humains divers…
L’engagement de la communauté internationale au cours des dix dernières années, à travers le soutien apporté au gouvernement afghan pour reconstruire le pays, est indéniable. Toutefois, cette aide a montré ses limites et il apparaît même qu’une gestion déficiente de sa distribution, couplée à une corruption endémique et à la faiblesse des institutions démocratiques, rend ces efforts presque anecdotiques. Surtout, les Afghans craignent un retour à la situation de guerre civile qui prévalait dans les années 90 et de la répression talibane concomitante. Les femmes en seront assurément les premières victimes.
Le processus politique actuel, qui vise à réconcilier les insurgés talibans à n’importe quel prix, est dangereux. Il risque en effet d’exclure complètement les défenseurs d’un Afghanistan démocratique, où la justice et le respect des droits de l’Homme seraient des exigences non négociables. Tant que les auteurs de crimes de guerre et crimes contre l’humanité ne seront pas traduits en justice, les valeurs démocratiques ne pourront pas prendre racine en Afghanistan. Aussi, il n’y aura pas de paix sans justice. Nous pensons que le peuple afghan attend de manière légitime de la communauté internationale qu’elle attache plus d’importance à la protection de leurs droits fondamentaux et qu’elle poursuive en justice les criminels de guerre. Cet engagement doit faire partie intégrante de l’accord qui sortira de la conférence de Bonn le 5 décembre prochain. La fragilité du gouvernement afghan et son manque de crédibilité appellent en effet la communauté internationale à s’investir fortement dans cette voie. Les Nations unies et les pays de l’OTAN, qui font partie intégrante du conflit en cours et y portent de lourdes responsabilités, ont le devoir de s’assurer que les droits humains des Afghans ne soient pas sacrifiés à des fins politiques.
Souhayr Belhassen
Présidente de la FIDH
Guissou Jahangiri
Directrice exécutive d’Armanshahr/Open Asia