Les racines de l’Europe

Par Memoiredeurope @echternach

C’est souvent une véritable difficulté de rédiger presque chaque semaine un article sur les itinéraires culturels pour le journal de fin de semaine luxembourgeois Le Jeudi. Mais après une soixantaine d’articles, je suis très heureux de cet exercice qui amène à l’apprentissage de la concision. Mais je me réjouis tout particulièrement d’avoir ainsi accumulé des notes et essayé de trouver des angles de narration qui prennent les thèmes des itinéraires culturels et les événements qui les animent sous des angles qui relient le passé de l’Europe au présent de la prise de conscience d’un destin commun.  Cette approche préalable m’a permis de répondre au défi du Touring Club Italien qui m’a demandé, ainsi qu’à ma collègue Eleonora Berti de préparer un ouvrage en moins de deux mois afin de pouvoir le publier cette fin septembre et de le distribuer à l’ensemble des adhérents du Club. Pari gagné donc.

C’est ainsi que se clôture une phase importante d’un travail qui met en relation des histoires de l’Europe. Non pas sous un seul regard national, mais dans la diversité des regards de ceux qui vivent dans la dépendance de la mer, ceux qui se sentent ancrés dans les profondeurs du continent et ceux que la vie amène à voyager pour de bonnes raisons et parfois – souvent - pour essayer de trouver un sort meilleur. La publication est entièrement en italien et sera peut-être publiée dans d’autres langues. Dans la mesure où une grande partie des textes ont été écrits originellement en français, j'en profite pour citer une partie de l’introduction.

« Un itinéraire culturel reconnu par le Conseil de l’Europe, comme le sont les vingt-neuf qui sont proposés dans cet ouvrage, constitue d’abord un grand thème européen qui nous permet de mieux comprendre l’histoire et la mémoire de l’Europe dans une continuité continentale qui va de l’Atlantique au Caucase du Sud et de la Baltique à la Méditerranée. Il a d’abord pour but de mettre en œuvre des actions de coopération qui intéressent des scientifiques, des médiateurs du patrimoine, des enseignants, comme des élus et des agents de développement territorial réunis en réseaux européens. Un itinéraire culturel constitue de plus une nouvelle catégorie de « bien culturel » qui permet de créer une interaction entre un monument à protéger et à valoriser et le contexte culturel et territorial auquel il est nécessaire de le relier, pour pouvoir en saisir toutes les dimensions. Cette nouvelle forme de découverte est avant tout une opération mentale, essentielle pour comprendre la signification, l’histoire et la valeur que prend un bien dans une culture et dans une société particulières et a conduit à élargir la définition de « bien culturel »  de la catégorie « matérielle » à la catégorie « immatérielle ». Une telle dimension permet de comprendre que les monuments et les traditions, les beaux-arts et les arts populaires, les produits typiques et les paysages constituent, ensemble, les nombreux langages d’une même communauté. C’est ainsi que la Convention Européenne du Paysage, ouverte à signature à Florence à l’automne 2000 est venue compléter cette approche globale en lui donnant des bases de responsabilité partagée entre les propriétaires et les usagers. Le paysage, cet élément en constante transformation, porte tous les signes imprimés au cours de l’histoire par les individus qui l’ont vécu et traversé. Devenir un citoyen de l’Europe, conscient des racines communes, des identités multiples et partagées entre les peuples, les nations et les communautés qui la composent, c’est apprendre à mieux connaître cette « composante fondamentale du patrimoine culturel et naturel de l’Europe, contribuant à l’épanouissement des êtres humains et à la consolidation de l’identité européenne », qu’est le paysage. Par conséquent le programme des itinéraires culturels, qui propose de longs parcours de pèlerinages transfrontaliers à travers l’Europe, mais aussi sur les pas de saint Martin ou de Don Quichotte, dans les traces des voyages de Mozart ou le long des parcours méditerranéens des Phéniciens, mais qui met aussi en valeur les composantes des patrimoines industriels, s’est très vite révélé un des meilleurs moyens de proposer des sensibilisations à la dimension paysagère. Les itinéraires culturels sont des clés narratives essentielles pour comprendre cette grammaire qui structure collines, montagnes, côtes, villages et villes. Nous traversons le paysage, mais il nous traverse en effet tout autant. Nous le modifions par nos activités, mais il nous modifie psychologiquement. Découvrir la Route de l’Olivier ou celle des Vignobles, par exemple, c’est s’intéresser au produit final, vin ou huile d’olive et à la gastronomie locale, composante forte des itinéraires culturels, mais aussi à plusieurs des formes d’invention sur le paysage, à l’importance de l’homme dans sa conception, son aménagement et son entretien. Le temps du paysage agricole est ponctué de célébrations, de rites qui dialoguent avec la nature du travail nécessaire à chaque moment de l’année pour l’apprivoiser et l’aménager. Les itinéraires nous le proposent dans toutes ses composantes : bruits, sons, surfaces tactiles, odeurs, saveurs, couleurs, qui sont essentielles pour reconnaître et pouvoir retrouver ces points de repères et ces correspondances qui font de nous des Européens. A nous de réapprendre à les lire. Pour citer Jean-Marc Besse : « Si le paysage est une œuvre, au sens donné à ce mot par Hannah Arendt, s’il est l’ouverture d’une durée et en ce sens d’un monde, alors il est une volonté et une méditation de la vie et non de la mort, une méditation sur la naissance des choses et non sur leur disparition. »