André Dhôtel devint célèbre en 1955 avec Le Pays où l’on n’arrive jamais. Il y contait l’histoire de Gaspard. Gaspard était un fils de forain que la rencontre d’un enfant perdu entraînait dans une suite d’aventures aussi rocambolesques que merveilleuses. Ce mince roman, refusé par Gallimard (il fut publié finalement par Pierre Horay) séduisit les bonnes dames du Femina et obtint la même année les faveurs d’un assez large public. On parla du même coup de Dhôtel à Paris.
Il n’en était pourtant pas à son coup d’essai : son premier roman, Campements, avait paru chez l’éditeur de la rue Sébastien-Bottin dès 1930. On se demande pourquoi le second ne connut pas la même fortune. La raison en est simple : c’était un texte écrit pour les "jeunes", ce qui, paraît-il, ne pose pas son homme, moins encore son écrivain. Or n’importe quel lecteur familier de son œuvre vous dira que le meilleur de Dhôtel s’y trouvait déjà en germe : ses Ardennes natales, son héros lunaire, son écriture d’une simplicité charmante ("sa redoutable simplicité", pour reprendre les termes de Henri Thomas), et par-dessus tout cet univers dont Mauriac, un jour, eut bien des raisons de louer l’étrangeté, un monde où l’extraordinaire n’a de cesse de le disputer au quotidien le plus ordinaire.
Une quinzaine d’autres romans suivirent, d'une commune inspiration. Aucun d’eux ne
suffirait pour autant à assurer à Dhôtel la reconnaissance à laquelle il aurait pu prétendre, jusqu’à
cette fameuse année 1955, malgré le Prix Sainte-Beuve qui lui fut décerné en 1948 pour
David. Elle tombait d’autant mieux, si l’on ose dire, qu’elle semblait
devoir conclure pour lui une longue période de doute. Cet homme modeste, si
discret qu’il préféra toujours la simplicité de sa campagne à l’esbroufe de la
ville, avait connu bien des dépressions. Le soutien indéfectible de son épouse, Suzanne, lui
permit de les surmonter toutes. Entre 1930 et 1955, nombre de refus qu’il avait
dû essuyer auprès des éditeurs lui avaient fait croire qu’il aurait peut-être
mieux valu ne pas trop se fier aux encouragements de ses compagnons de régiment
(Limbour, Vitrac, Arland et Desnos) et trouver mieux à filer que des odyssées
champêtres en un début de siècle trop soucieux de modernité pour y être attentif.
Comme quoi il semblerait que les raisons des éditeurs l’emportent quelquefois
sur l’intuition des poètes. Mais ce n’est pas forcément vrai. Quelques exceptions le prouvent : Paulhan en fut une, et d’importance. Il sauvera notre homme en ouvrant les pages de la Nouvelle Revue Française à
un livre fameux, Le Village pathétique. Cela se
passait en 1943, soit 13 ans après la parution de Campements.
De rares notices résument la suite, à partir de 1955 : sa
réputation assise avec le Femina, ce lointain parent de Rimbaud (à ce qu’on dit)
livra bon an mal an chaque année son opus, soit, au bout du compte, un ensemble
d’une cinquantaine d’ouvrages (romans, nouvelles, contes, livres pour enfants...).
Si aucun d’eux n’atteignit le tirage du Pays où l’on n’arrive
jamais, en dépit de quelques autres récompenses saisonnières (jusqu’au Grand
Prix de l’Académie française en 1974 et au Grand Prix National des Lettres en
1975), quelques milliers de lecteurs demeurèrent fidèles à ce provincial qui le
resterait jusqu’à sa mort (bien que celle-ci soit survenue à Paris, en
1991).
A suivre...