La presse américaine s’est montrée sceptique face à l’annonce par les autorités de Washington qu’un complot iranien avait été déjoué qui prévoyait l’assassinat dans la capitale fédérale de l’ambassadeur d’Arabie Saoudite. Cette prudence est justifiée après les mensonges officiels de l’administration Bush sur les armes de destructions massives de Saddam Hussein, et la guerre désastreuse qui a suivi.
Pour autant le camp de la raison ne devrait pas se réjouir si vite. Depuis le fameux incident du Golfe du Tonkin en août 1964, qui a servi de prétexte à l’intervention américaine au Vietnam, plus l’artifice est gros, mieux il fonctionne. Plus la fable est évidente, et plus le public est disposé à la croire.
Les journalistes outre-atlantique se sont moqués de ce marchand de voiture d’occasion du Texas qui aurait servi d’intérmédiaire à l’organisation clandestine iranienne Al Quds pour acheter les services d’un cartel de la drogue mexicain pour commettre un attentat contre le représentant de la monarchie des Saoud à Washington. Les commentateurs ont souligné que ce scénario semblait tiré d’un mauvais film d’espionnage. Et ils ont insisté, au contraire, sur la crédibilité et le sérieux d’Al Quds, comme bras armé d’un régime qui gère avec beaucoup de prudence ses opérations extérieures.
Mais rapidemet le ton risque de changer, et le président Barack Obama est intervenu lui même pour donner du crédit à cette rocambolesque aventure. « Ce que nous savons, c’est qu’un individu américain d’origine iranienne était impliqué dans un complot pour assassiner l’ambassadeur saoudien. Et nous savons aussi qu’il avait des liens directs, était payé et recevait des ordres d’individus au sein du gouvernement iranien », a déclaré Obama. « Nous n’avancerions pas de telles hypothèses sans avoir les faits pour prouver ces allégations contenues dans l’acte d’inculpation », a remarqué M. Obama.
Cet exercice rappelle le témoignage de Colin Powel en 2002 devant le Conseil de sécurite de l’ONU, contraint de présenter au monde les fausses preuves de la culpabilité de Saddam Hussein. Sans doute regrette-t-il encore la photo qui a immortalisé ce moment: Powell, le héros de guerres passées, le premier secrétaire d’état noir de l’histoire américaine, tenant à la main un petit flacon qui contenait, affirmait-il, assez de poison pour décimer New York. Sa fidélité à la Présidence l’avait piégé dans cette mascarade voulue par les idéologues de la guerre de l’extrême droite américaine, les néo conservateurs.
Il est clair que dans la période actuelles d’incertitudes au Moyen-Orient, une Amérique affaiblie écomiquement, à la peine dans ses opérations militaires étrangères, voit avec des sentiments contradictoires une nouvelle crise avec l’Iran: pour les milieux les plus prudents, elle ne peut qu’accélérer l’affaiblissement économique et diplomatique des Etats-Unis; pour les tenants d’une Amérique impériale, elle est au contraire une chance rêvée de relever la tête, de démontrer la suprématie de la force, et d’éliminer enfin le seul pays de la région qui s’oppose encore à l’hégémonie américaine dans le Golfe, zone essentielle pour l’alimention en énergie des économies du monde.
Le Financial Times ne s’y est pas trompé. Même s’il défend une ligne dure à l’égard de la République islamique, notamment sur la question de ses ambitions nucléaire, il met en garde les Etats-Unis contre toute tentation de risposte militaire: « la dernière chose dont un Moyen Orient en désarroi a besoin est un nouveau conflit ».
Mais Barack Obama qui avait entamé son mandat en prêchant l’entente et le dialogue, y compris avec l’Iran, semble avoir perdu toute influence sur le cours de la politique américaine au Moyen-Orient et dans le Golfe. Ce sont des chasses gardées des pétroliers, des marchands d’armes et des milieux pro-israéliens aux Etats-Unis et ils ont repris la main au Congrés, au Département d’Etat, et dans les agences de renseignements. Et ils vont être en mesure de dicter à un président préoccupé par une réelection incertaine une ligne beaucoup plus dure face aux défis du monde arabe et du monde musulman.
Ainsi le président américain a-t-il été forcé de battre en retraite sur un des piliers de sa diplomatie au Moyen-Orient: le gel de la colonisation israélienne en Palestine. Il en avait fait une condition de la reprise des négociations entre Palestiniens et Israéliens. Le premier ministre Benjamin Netanyahu lui a dit « non » et l’a publiquement humilié en lui donnant un petit cours de sécurité militaire appliqué à l’état hébreu, la seule puissance nucléaire de la région. Par la suite, alors même qu’Obama avait rêvé tout haut de la création d’un état palestinien, il a dû faire machine arrière à la tribune de l’ONU, assurant qu’un état ne pouvait naitre d’une déclaration internationale, mais d’une négociation entre les parties. Ce que les pays qui ont voté en faveur de la création de l’état hébreu en 1947 ont dû considérer comme un point de vue intéressant.
Obama a donc dû donner des gages à Israël, pour éviter ce que ses stratéges de campagne ont dû présenter comme une désaffection du vote juif. Il a sans doute également voulu donner des gages à ceux des électeurs chrétiens, qui associent leur destin à celui d’Israël. Ils sont nombreux, sans pour autant être des fondamentaliste, qui considèrent que l’état hébreu ne peut pas avoir tort et constitue un rempart contre le péril toujours plus grand de l’Islam militant.
Mais en donnant des gages à Israël, Obama doit également satisfaire son autre grand allié dans la région, l’Arabie Saoudite, qui l’avait mis en garde contre toute partialité. Ryad avait grondé lorsque Washington avait annoncé qu’il mettrait sonvéto à la demande palestinienne d’une reconnaissance formelle à l’ONU. Il fallait mettre fin au martyr d’un peuple chassé de chez lui depuis plus de soixante ans, assuraient les Saoudiens, soudain pris d’une empathie particulière pour les Palestiniens. Mais leur intérêt a été de courte durée. La monarchie des Saoud se sent plus menacée par les Iraniens qu’indignée par le sort pitoyable des Palestiniens. Et l’affaire du complot vient à point nommé pour impliquer dans le face à face des deux théocraties du Golfe, la sunnite et la chiite, le grand arbitre militaire, le gendarme américain.
Dans le contexte du monde arabe en ébullition, le jeu se brouille vite. Lorsque la réalité perd de sa pertinence, et devient de plus en plus floue, elle laisse la place aux illusions, et aux tentations. « Pourquoi ne retenons nous pas les leçons de l’histoire? », titre un ouvrage déja ancien de Basil Heny Liddel Hart. La réponse est bien sûr que nous savons trop bien les leçons de l’histoire, mais que ceux qui nous gouernent s’en croient –souvent avec raison– totalement dispensées. Voir immunisés. Rarement, ceux qui décident des guerres montent en première ligne pour les combattre. Et rarement trouve-t-on dans les rangs gonflés des victimes de la violence ceux qui ont cédé à la tentation facile de l’usage de la force.