Le comble fut atteint dimanche dernier. Nicolas Sarkozy s'était imposé à Berlin, chez Angela Merkel, pour une réunion sur la crise de la dette et de la Grèce. ll espérait que sa diversion médiatique fonctionnerait. La Commission européenne réclamait enfin une recapitalisation des banques avant un probable défaut de paiement de la Grèce, mais le président n'avait rien, rien fait, rien annoncé. Il se faisait applaudir dans le Caucase. Il pensait donc légitimement que son intervention berlinoise produirait quelque effet. Et bien, non. Rien, nada. Ce fut un fiasco total. Pas une chaîne de télévision ou de radio, fut-elle d'information, n'avait daigné montrer quelque image de la conférence de presse commune Sarkozy/Merkel.
A leur décharge, les journalistes n'avaient pas grand chose à apprendre de ce déplacement: les deux dirigeants annoncèrent qu'ils apporteraient « des réponses durables, globales et rapides avant la fin du mois ». Une visite pour rien, des médias qui s'en fichent... le fiasco était total.
Lundi matin, le Monarque bougonnait donc: « cela vous passionne, mais moi j’ai d’autres choses à faire ». Il demanda à ses ténors de réagir contre les primaires. L'argumentaire écrit à l'Elysée fut rapidement distribué. Il fallait répliquer. Dès dimanche soir, Jean-François Copé, le secrétaire général de l'UMP, avait étalé sa mauvaise foi. Il avait d'abord relativisé les 2,7 millions votants aux primaires: « ça fait 96% des Français qui pensent que l'élection, c'est l'année prochaine, voilà. Donc, je crois qu'il faut peut-être relativiser un peu tout ça ». Lundi matin, il continua: «L'UMP suivra de près les marchandages avec le faiseur de roi Montebourg ». C'était le second argument sarkozyen, dénoncer un prétendu glissement gauchiste du Parti Socialiste. Il fallait faire peur à l'électeur sarkozyste déçu. A l'UMP, on préfèrerait Aubry et on craint Hollande.
Mardi matin, Sarkozy lâcha de sales commentaires sur la primaire socialiste. Il la jugea contraire aux intentions institutionnelles du général de Gaulle. Fichtre ! Fallait-il qu'il soit énervé. Le Monarque fila ensuite dans la Creuse. Aubry était dans les parages. Sarkozy avait mobilisé un hélicoptère militaire et ses ministres Baroin (Finances), Le Maire (Agriculture), et Pécresse (Budget) pour rendre visite à un commerce « multi-services », un « très bel endroit » ! Sarkozy partit sans payer son café. Plus tard, devant 1.500 figurants locaux, il déclama de grandes vérités sur « la ruralité, (...) avenir de la France » à condition qu'elle « conjugue vos traditions et la modernité...». On avait dressé pour l'occasion une gigantesque tribune, avec projecteurs et caméras. Tout cela pour une petite heure de monologue, comme d'habitude.
Sarkozy tacla, sans la nomer, la démondialisation chère à Arnaud Montebourg. Il railla ceux qui veulent « dépenser plus, avec l'argent des Français ». Lui, l'homme aux 400 milliards d'euros de dette publique supplémentaires en 5 ans de mandat ! Au passage, il promit un relèvement de la taxe soda pour financer un nouvel allègement de charges sociales en faveur des agriculteurs. C'est le temps de cadeaux bien ciblés !
Mercredi, pour son conseil des ministres, ses collaborateurs avaient le sourire forcé. Alain Juppé s'était indigné sur France info que les médias n'évoquent pas cette incroyable visite présidentielle dans la Creuse. Ziad Takieddine, l'ami de Jean-François Copé, passa encore 5 heures devant le juge van Ruymbeke à expliquer son rôle dans les ventes de frégates à l'Arabie Saoudite et ses commissions défiscalisées par Sarkozy ministre du budget. Dans un autre scandale, le parquet de Paris a réclamé l'élargissement de l'immunité présidentielle aux proches collaborateurs du Monarque dans l'affaire des sondages de l'Elysée. L'association Anticor avait porté plainte pour favoritisme contre deux anciens proches de Sarkozy qui avait recruté Patrick Buisson pour conduire des sondages occultes. L'argument du ministère de la Justice est délicieux et exemplaire de cette République si reprochable: «Il s’agit de permettre au président de la République de mener sa mission avec la sérénité nécessaire. Son immunité, sauf à en limiter la portée, doit prendre en compte l’intervention possible de collaborateurs.»
Mercredi soir, le dernier débat des primaires socialistes opposant Martine Aubry et François Hollande était un gros carton. Près de 6 millions de téléspectateurs. Le lendemain, les ténors du clan sarkozyen répètent le même message, que le programme socialiste serait donc « ringard ». Mais ce succès des primaires a réactivé la guerre Copé/Fillon. Le premier s'emballe contre ceux qui considère que les primaires sont modernes. C'est exactement ce qu'a dit Fillon la semaine précédente.
Sarkozy, lui, a filé en Haute-Marne, à Chaumont, la ville de son ministre Luc Chatel. En pleine crise financière, il voulait inaugurer un musée Pompidou mobile... Parce que la Culture, « c'est important ». Il était content: « On a parlé de tout ce qui n'est pas dans l'actualité, donc on a parlé de tout ce qui est important ».
Vendredi, Nicolas Sarkozy reçut José-Manuel Barroso, le président de la Commission européenne. Les autres dirigeants de la zone euro s'agacent du couple « Merkozy », accusé d'agir sans concertation. Le même jour, François Baroin a annoncé qu'un accord franco-allemand sur la recapitalisation de la zone euro avait été « formalisé », mais sans en dévoiler la teneur : « nous avons déjà contractualisé des accords qui seront très importants »... Quel suspense ... anti-démocratique !
Dans la semaine, la banque Dexia avait déjà été soldée. Son démantèlement a été décidé. Dexia, la banque au 100 milliards d'actifs toxiques, prétendument sauvée en 2008 par la brillante intervention de Nicolas Sarkozy qui y avait placé son ancien directeur de cabinet Thierry Mariani à sa tête. Dexia, la banque qui a tout raté, sauf les fameux stress-tests de l'été dernier censés mesurer la fragilité de nos établissements bancaires.
Des mois durant, le gouvernement français a refusé de voir l'inévitable, la nécessaire recapitalisation des banques européennes, et françaises, trop exposées au risque grec. Jeudi, le gouvernement slovaque « s'est fait hara-kiri », comme l'a dit François Baroin, en promettant des législatives anticipées à son opposition pour qu'elle ratifie le plan de sauvetage de la Grèce qu'elle avait rejetée deux jours avant. Mais la Grèce fera défaut, même partiellement. Pour éviter la catastrophe, il faudra recapitaliser.
Cette catastrophe, coûteuse pour les Etats et donc les citoyens, rappelle combien la vigoureuse et décisive action de Sarkozy et consorts à l'automne 2008 fut en réalité une gigantesque tartufferie.
Notre président protecteur était aux abonnés absents. Vendredi, on faisait mine de découvrir que les tarifs des mutuelles progresseraient de 4,7% l'an prochain. Une conséquence de la nouvelle taxation prévue par le gouvernement l'an prochain des contrats de mutuelles solidaires.
Claude Guéant a eu raison du site Copwatch, qui voulait recenser et dénoncer les policiers responsables de bavures. La justice a interdit le site. La situation est tristement cocasse. Quand il était directeur de cabinet du ministre de l'intérieur Sarkozy, il avait négocié, avec l'aide de l'intermédiaire et ami Ziad Takieddine, la vente d'un gigantesque système d'espionnage et de fichage à la dictature libyenne en 2005-2007. Sur ce coup, Guéant était moins regardant.
Cette semaine, on a découvert un autre fichage, en France cette fois-ci. Le ministère de Luc Chatel envisage une belle opération. Les enfants de grande section de maternelle seront triés par l'Education Nationale, en trois catégories: « rien à signaler », « à risques » et « à hauts risques ».
Jeudi, une professeur a tenté de s'immoler par le feu dans la cour de son lycée, à Béziers. Luc Chatel a déclaré son « émotion ». On a cherché, dans la longue liste des communiqués de presse sarkozyens, une attention à ce drame insoutenable.
On a cherché, sans trouver.
Nicolas Sarkozy a raison. Il faut que l'on cesse de parler des primaires socialistes. L'actualité n'attend plus: des scandales d'Etat à la faillite de la République, il est temps de s'intéresser à nouveau au bilan du Monarque élyséen.
Ami sarkozyste, où es-tu ?