Après un mois d'hôpital François put sortir à condition de marcher avec des béquilles, il avait sympathisé avec Mounira son infirmière, en tout bien tout honneur. Elle lui expliquait les difficultés que vivaient au quotidien les femmes de cette région. Appartenant à un pays laïque, l’un des plus évolués du monde arabe, le sud était rétrograde et l’emprise de la religion et de la famille étouffantes, emprise des hommes sur les épouses, les femmes de la famille.
Elle lui conta l’histoire de cette habitante d’un village perché près de la frontière algérienne. Mariée à un homme beaucoup plus âgé qu’elle ; un vieux barbon revêche, aigri, suivant les préceptes du Coran quand cela l’arrangeait , les digressant pour assouvir ses vices : l’alcool et les femmes, mais en cachette, toujours. Ils avaient eu un enfant, trois ans plus tard, à l’occasion d’un voyage en France avec son époux elle avait profité d’un instant d’inattention de ce dernier et de la famille de France pour s’enfuir sur la côte d’azur avec sa petite valise. Elle était jolie, agréable et d’un abord facile. Elle rencontra plusieurs hommes, obtint un petit boulot de vendeuse au black.
Mais avec le temps, son enfant lui manqua de manière insupportable. Elle décida de revenir au village pour reprendre sa petite. Elle fit le voyage, c’est un petit pays, tout se sait rapidement, à peine débarquée de l’avion le mari fut prévenu du retour.
Il chargea ses frères de l’accueillir, ils la reçurent dans leur maison, lui firent attendre la gamine. Mais ce fut le mari qui vint, armé d’un rasoir. Il se jeta sur elle et la balafra, il lui fit ce que l’on appelle : « le sourire kabyle », une estafilade de la bouche à l’oreille. Ainsi défigurée, couverte de honte, n’osant plus se montrer que voilée elle ne quitta plus le village.
Ce récit révolta François, il y voyait l’expression de la propriété masculine sur l’autre sexe, comme du bétail, oui, la femme était traitée comme du bétail. Mais significativement cette histoire se passait dans le sud du pays, il savait qu’il en était autrement dans les régions du nord où la vie à l’occidentale était courante. L’éducation, l’économie, tout semblait concourir à rendre les femmes du sud plus dépendantes de leurs époux. Les modes de vie traditionnalistes étouffaient la société dans ces régions. Dans les rues la population masculine était plus nombreuse, c’était soit des hommes, soit des fantômes, c’est ainsi qu’il désignait la gente féminine. Corps et visages cachés sous les tissus, impossible de croiser un regard chez ces zombies qui se protégeaient des mâles.
Ce que Dayan avait dit à Marc l’intriguait, il voulait en savoir plus sur ces histoires de morts suspectes. Les circonstances de l’accident lui revenaient la nuit en cauchemars par bribes. Il était impossible que quelqu’un lui en veuille au point de le renverser volontairement, mais il était vrai que la voiture n’avait pas cherché à l’éviter.
Il téléphona à Dayan et prit rendez vous dans un café proche du Commissariat, non loin du Centre ville. C’était un établissement agréable avec une grande terrasse de terre battue jouxtant une jardinerie où étaient mis en vente des poteries et des plantes ainsi que des pots de fleurs. Un coin de verdure avec des parasols en formes de paillottes de fibres de palmiers. Le propriétaire des lieux se présentait comme ingénieur agronome, mais les anciens disaient qu’il ne l’avait jamais été et qu’il trainait une vieille histoire de malversations. Depuis son arrivée il en avait entendu pas mal, ce genre de personnes au passé flétri jouant la respectabilité, c’était courant. Faire bonne figure devant l’étranger pour gagner sa confiance paraissait un bon moyen de se donner bonne conscience, tout finissait cependant par se savoir.
Chapitre II
Mohammed Dayan
Il fréquentait souvent cette terrasse avant son accident, il y lisait les périodiques français, la profusion des arbres en faisait un lieu d’ombre et de fraîcheur pendant les grosses chaleurs de l’été saharien. Il se dirigea vers une des tables en plastique blanc, recula un des fauteuils de même type et s’aida de sa canne pour allonger sa jambe blessée de façon confortable.
Le lieu était désert ce matin, seul un couple d’homosexuels se tenant par la main avait choisi un recoin à l’écart de la rue pour fuir les regards indiscrets. Il s’assit de façon à avoir en point de mire la jardinerie et surtout l’allée par où les clients pouvaient accéder au café. La matinée était douce, le ciel d’un beau bleu sans nuage. Il enviait les couleurs naturelles qui l’entouraient , parviendrait il un jour à les traduire sur une toile ?
La torpeur ambiante le gagnait peu à peu, il caressait la poignée mousse de sa canne anglaise en patientant. Enfin il vit un homme s’avancer dans l’allée du côté de l’exposition des oliviers. C’était un grand type très maigre vêtu d’un costume gris et d’un chapeau genre borsalino, une coiffe que l’on ne porte plus de nos jours. Il lui parut anachronique dans ce décor, un petit air de Louis Jouvet, mais ce qui frappait en lui c’était la pâleur de son teint. Il avait le visage d’un blanc cadavérique . En se rapprochant il lui évoqua ces films muets représentant Nosferatu le vampire. Il imagina l’angoisse que devaient éprouver les criminels soumis à ses interrogatoires, sans qu’il ait à parler son aspect devait amener de prompts aveux.
A suivre...