Qu'il est agréable de changer de vie. TF1 l'a bien compris : plutôt que de faire gagner des sommes colossales d'argent brut, les producteurs préfèrent dorénavant orienter les récompenses. Pas question de garder le même boulot, de s'acheter une belle voiture, de faire des travaux à la maison et d'épargner pour ses enfants, il faut tout laisser derrière. Ça en dit long sur l'impression d'impasse qui s'insinue dans le projet de vie de chaque Français. Masterchef en est un parangon : vous êtes directeur commercial, avocat, chef d'entreprise, étudiant de médecine en fin de cursus, mais tout ça ne vaut rien, car le seul rêve qu'on vous propose, c'est de vider et larder des pigeonneaux tous les soirs. La seule voie possible, c'est de gagner, être premier, un seul y parviendra – et les autres retourneront tous, le cœur brisé, à leurs vies minables de travailleurs aisés.
Faut avouer que ce qui rend possible ce genre d'inepties, c'est une forme nouvelle d'idéal, l'idéal de la discontinuité. Question de phénoménologie : l'existence n'apparaît plus dans sa permanence, dans son déroulement fluide et logique mais comme une suite de séquences non liées, d'évènements qui font coupure, qui jalonnent la vie et en marquent brutalement les changements de direction.
Une fois acquis, le statut d'ange de la télé-réalité est par exemple perçu comme un dû, il est revendiqué au nom de rien d'autre que de ce soudain changement de vie, qui a valeur de preuve en soi – vous voyez-bien, je ne suis plus dans ma vie d'avant et il faut m'honorer depuis que ça a changé. Éric Besson est un autre figure intéressante, que j'oserais dire avant-gardiste. Alors que le flux d'information et la mémoire informatique devraient immobiliser les destins dans un procès permanent, on observe le contraire. Peu importent les dossiers que vous me ressortez, peu importe comment vous m'avez connu, puisque aujourd'hui est un autre jour et que seule compte la parole instantanée. Ma dernière illustration sera un peu plus classe, avec le History of Violence de Cronenberg qui est ici assez visionnaire. Deux blocs d'existence supposés disjoints et successifs tendent à se mêler – danger et horreur d'avoir à établir une cohérence entre les deux. Dans un final épique, Viggo Mortensen remettra chaque séquence à sa place. Comme si Besson devait rendre sa carte de l'UMP parce que « gaucho un jour, gaucho toujours ». Je vous laisse imaginer.
Toute cette introduction ne me sert que de prétexte pour vous parler de deux histoires récentes qui me plaisent bien, deux changements de vie annoncés qui, dans leur genre, sont bien chouettos.
La première concerne un certain Ron Artest, joueur NBA particulièrement croustillant que les aficionados connaissent bien. Un défenseur redoutable, sans conteste un des meilleurs de la ligue, mais aussi un personnage fascinant, fou et incontrôlable. Il a été immortalisé lors d'une baston homérique lorsqu'il jouait à Indiana. Échange de coups avec Ben Wallace, puis position couchée comme à la plage sur son banc de touche, et enfin beat them all dingo dans les tribunes avec des supporters. Vous pouvez voir la vidéo ici. Un fait de gloire qui marque bien l'instabilité du bonhomme, toujours à la limite du dérapage sportif ou médiatique – violence, moquerie, aveu de dépression, propos délirants etc. Eh bien figurez-vous que ce cher Ron Artest a lui aussi décidé de commencer une nouvelle existence. C'est officialisé par le juge depuis le 26 août dernier, il s'appelle désormais Metta World Peace, et c'est inscrit sur sa fiche d'état civil.
« On pouvait encore m’appeler Ron Artest jusqu'au 26 août, et maintenant c’est fini. C’est terminé. Maintenant, je ne suis qu’amour et paix dans le monde. Tout le monde peut s’y retrouver quel que soit son pays, sa communauté ou son état. Le plus important, c’est la paix dans le monde. Vous savez ce que ça signifie ? Les enfants ont besoin de le savoir, et maintenant ils le savent »
La deuxième histoire nous ramène directement à la musique. Au début de cette année, je pleurais la fin de carrière de Jay Haze, monument de la house qui annonçait tout arrêter dans des termes nébuleux et tout simplement nuls ("After spending years contemplating what love is, I have realized that the only way to evolve is through love"). Il s'est avéré en fait que Jay Haze voulait s'engager corps et âme dans l'humanitaire, précisément dans les conflits qui meurtrissent depuis des années la République démocratique du Congo. Changement de vie assez improbable et au final plutôt drôle. Fort heureusement, Jay haze est revenu partiellement sur sa décision, puisqu'il nous offre déjà un nouvel album gratuit. Pas avec de la house cotonneuse comme dans I'm Burning Inside ou dans son remix idéal de Yann Tiersen, mais avec de la bass music bien chanmé et très surprenante pour le bonhomme. Collaboration avec une jeune MC de 18 ans, Rayzaflo, No Time Like Now est une belle incongruité qui donne envie de faire des choses sales et vilaines. Tout ce qui vous plaît.
Rayzaflo and Haze-No time like now by jayhaze