Quel message adressez-vous à vos électeurs pour le second tour ?
J'ai un premier devoir : respecter la liberté de choix des Françaises et des Français qui m'ont fait confiance. J'ai voulu pleinement les éclairer par les échanges de lettres publiques que j'ai eus avec Martine Aubry et François Hollande. Les citoyens peuvent désormais faire leur choix en leur âme et conscience, et je me refuse à donner une consigne de vote. Car dans le mot consigne, il y a l'image de la caserne et de l'enfermement qui est incompatible avec l'esprit de la primaire et de la VIe République. Chacun se déterminera au vu des choix exprimés par les candidats.
Quel bulletin glisserez-vous dans l'urne dimanche ?
Pierre Mendès France disait: "Gouverner, c'est choisir." Même lorsque cela est difficile. Il me paraît de l'ordre des qualités demandées à un dirigeant politique de ne pas se dérober. C'est mon second devoir. Dans ce choix, il y a d'abord l'obligation de faire gagner la gauche en 2012. Les propositions des deux candidats étant pour moi équivalentes, je ne peux me déterminer en fonction de ma seule éthique de conviction. C'est pourquoi mon choix relèvera avant tout de l'éthique de responsabilité: je veux faire gagner la gauche et battre Nicolas Sarkozy. A titre exclusivement personnel, je voterai donc pour François Hollande, arrivé en tête du premier tour, à mes yeux meilleur rassembleur. Il a su dans sa lettre jeter un pont entre nos deux rives, et je lui en sais gré.
En votant François Hollande, ne cédez-vous pas à l'argument du vote utile ?
Mais je souhaite être utile! Utile à la gauche et à la France. Au premier tour, on choisit par conviction. Au second, on choisit l'efficacité. Comme tous les candidats de premier tour, dont mon amie Ségolène Royal qui a formulé souvent des propositions similaires aux miennes, je choisis de voter François Hollande. Mieux vaut éviter la fragmentation, donner de la force à celui qui est arrivé en tête et soutenir le meilleur rassembleur plutôt que de rester sur mon Aventin. Le résultat de la primaire ne doit pas donner le signal de l'impossibilité de rassemblement. Ce serait une preuve offerte au sarkozysme de notre incapacité à nous unir.
Ne craignez-vous pas de heurter vos cadres locaux, plutôt favorables à Martine Aubry ?
Chacun de mes amis fera son choix en conscience, et je le respecterai. Je n'ai pas d'argument qui me permette de penser que Martine serait plus à gauche que François, ou l'inverse d'ailleurs! Leur choix doit être libre. La décision leur appartient, tout comme la mienne.
N'y a-t-il pas une contradiction à voter pour M. Hollande après avoir souligné pendant toute votre campagne sa proximité avec Mme Aubry ?
Non. Je continue de penser, surtout après le débat de mercredi soir, que ces deux candidatures sont identiques, et qu'elles auraient dû se mettre d'accord dès le début. Si j'avais été au deuxième tour, nous aurions eu un débat d'orientation plutôt qu'un débat de tempéraments et de personnes. Mais j'ai mené cette campagne pour changer la gauche, pour que celle-ci puisse à son tour changer la France. Pas pour témoigner.
En quoi leurs réponses à votre lettre ouverte aux finalistes ont-elles guidé votre choix ?
J'ai utilisé une méthode innovante et inédite dans l'histoire de la VeRépublique: questionner publiquement, par écrit, les deux candidats. Ceux-ci m'ont répondu de façon sincère et précise, et je les en remercie. Je les ai rencontrés pour une conversation approfondie. Et eux-mêmes ont choisi de rendre publique la lettre qu'ils m'ont adressée et qui vaut engagement de leur part pour l'avenir.
M. Hollande et Mme Aubry se seraient donc subitement convertis à vos thèses ?
Non, et je ne le leur demandais pas. Mais tous deux ont réalisé une forme de dépassement d'eux-mêmes. Ils ont avancé vers la mise sous contrôle des banques et la lutte contre la concurrence déloyale mondiale. Tous deux ont repris des morceaux de VIeRépublique, même en pièces détachées… Mon travail, dans cet entre-deux-tours, aura été celui d'un éclaireur. Certains ont dit que j'aurais été arrogant. C'est se méprendre. J'ai perdu cette élection, je suis arrivé troisième. Mais ma manière d'interpeller les autres candidats était une façon pour moi de marquer une fidélité à ces gens qui attendent que la gauche soit différente de celle que nous avons connue dans le passé.
Quelles garanties avez-vous obtenues de M. Hollande concernant vos propositions ?
Les garanties sont les engagements que Martine et François ont pris devant les Français et qu'ils ont rendus publics dans leur lettre.
Avez-vous évoqué avec M.Hollande la question des postes que vous et vos proches occuperiez dans son équipe de campagne si d'aventure il était désigné ?
Non. Je ne suis candidat à aucune fonction dans la campagne, car j'ai déclaré depuis le début de cette primaire que je serai au service du vainqueur, quel qu'il soit.
Dans quel rôle ?
J'en parlerai avec le candidat investi, le moment venu et selon ses besoins.
Votre contentieux avec Martine Aubry sur le cas de Jean-Noël Guérini, ex-patron de la fédération PS des Bouches-du-Rhône, a-t-il joué dans votre décision ?
Non. Il est vrai que j'avais été mis en accusation au bureau national pour avoir dit, à juste titre, ce qu'il fallait penser des pratiques du système Guérini. Mais je m'en suis expliqué jeudi avec Martine. J'ai écarté toute considération personnelle. On ne fonde pas des choix pour la France sur des déceptions intimes.
Comment comptez-vous capitaliser sur ces 17 % recueillis au premier tour ?
Mon combat pour cette "Nouvelle France" va continuer. Mes idées sont désormais à l'ordre du jour du débat politique. Dès lundi 17 octobre, quel que soit le résultat, je serai au service du vainqueur et entamerai une tournée européenne pour défendre les propositions et solutions que j'ai portées dans le débat de la primaire. Je me rendrai d'abord en Espagne pour y présenter mon livre, qui vient d'y être traduit, et les idées démondialisatrices et européennes que je défends.
Quel bilan tirez-vous d'ores et déjà de cette primaire ?
Cette primaire, que j'ai réussi à imposer au PS, a créé une situation nouvelle et extraordinaire. Même la droite nous envie cette innovation démocratique majeure. Le PS a réussi à intéresser 2,5 millions de citoyens, à dépasser un projet fabriqué en laboratoire clos, issu des alambics des équilibres de courants et de chapelles. S'il réussit l'unification, nous serons très forts face à Nicolas Sarkozy. Nous pouvons être fiers. De la vieille chenille vient de sortir un beau papillon.
Entretien au journal Le Monde - 14.10.11 - Propos recueillis par David Revault d'Allonnes
Crédits photos : Le Monde