Il y a un mois, la Banque Nationale Suisse provoquait une petite panique sur le marché des changes. Quelle mouche a donc bien pu piquer nos voisins helvètes qui brillent pourtant d’habitude par leur calme et leur modération?
Par Georges Kaplan
Le 6 septembre dernier, la Banque Nationale Suisse provoquait une petite panique sur le marché des changes en fixant le cours plancher du franc suisse face à l’euro à 83,3 centimes d’euros pour un franc suisse. Alors que le franc suisse s’échangeait à 90 centimes d’euros le 5 septembre, il ne valait plus que 83,1 centimes le lendemain ; une chute de 7,7% dans la journée – autant dire un petit cataclysme. La banque centrale suisse s’est montrée très claire : « elle ne tolérera plus de cours inférieur à 1,20 franc pour un euro [1], fera prévaloir ce cours plancher avec toute la détermination requise et prête à acheter des devises en quantité illimitée. » Quelle mouche a donc bien pu piquer nos voisins helvètes qui brillent pourtant d’habitude par leur calme, leur courtoisie et leur modération en toutes choses ?
Un petit retour en arrière s’impose. Depuis bien longtemps la BNS a la réputation de gérer le franc suisse avec une rigueur toute germanique et cette réputation est loin d’être usurpée. Et comme, par ailleurs, la confédération helvétique brille par son endettement tout ce qu’il y a de plus raisonnable (38,8% du PIB en 2010 à comparer avec nos 82,4%) ; cette réputation est aussi très crédible [2]. Ainsi donc le franc suisse bénéficie d’une solide réputation dans le monde entier – précisément, l’homme averti sait aussi que la monnaie de BNS préserve sa valeur dans le temps. En conséquence de quoi, quand nos planificateurs monétaires [3] se livrent à de petites expériences de « fiat monnaie » en imprimant des montagnes d’euros ou de dollars dans un effort désespéré pour nous amener à nous endetter de nouveau, l’homme averti, lui, achète du franc suisse (ou de l’or).
Or voilà, il ne vous aura pas échappé que la petite expérience de fiat monnaie en cours depuis 2008 relève du cas d’école [4]. Très logiquement, alors que Ben « Helicopter » Bernanke et Jean-Claude Trichet inondent leurs systèmes bancaires respectifs de liquidités fraichement imprimées, les hommes avertis se sont rués sur le franc suisse comme la misère sur le bas-clergé. Résultat : la monnaie helvétique qui s’échangeait aux alentour de 63 centimes d’euros lorsque Lehmann Brother nous jouait son remake du Titanic s’est offert un plus haut à plus de 95 centimes d’euros au milieu du mois d’août – 51% de hausse en un peu moins de trois ans dont pratiquement 16% rien qu’entre avril et août de cette année ; home run !
Mais la BNS n’a pas du tout apprécié l’enthousiasme que provoquait sa saine gestion [5] et s’est empressée d’intervenir massivement sur le marché des changes pour faire baisser la valeur du franc suisse ; d’où cette journée du 6 septembre. Pourquoi ? Eh bien gageons qu’un certain nombre d’industriels suisses ont passé des coups de fils à un certain nombre de politiciens suisses pour leur expliquer que le niveau élevé du franc suisse leur posait de véritables problèmes de compétitivité à l’export et donc, de sérieuses irritations au niveau du compte de résultats. Les appels se faisant de plus en plus pressants, on imagine qu’ils ont étés relayés diligemment par les politiciens suisses auprès des autorités compétentes et officiellement indépendantes : la BNS.
Seulement voilà, une monnaie qui s’apprécie, ça n’a pas que des désavantages. Typiquement, quand vous êtes un petit suisse du peuple, ça augmente votre pouvoir d’achat sur les produits importés. Pour preuve, alors que le franc suisse s’envolait de 16% entre avril et août 2011, l’indice des prix à la consommation helvète baissait – oui, j’ai bien dit baissait ; c’est une petite déflation – de 1,4%. C’est-à-dire qu’en payant leurs importations moins chères, nos amis suisses s’étaient tous enrichis de 1,4% en 4 mois. Mais voilà une grande vérité de ce monde : le vulgus pecum n’a jamais rien compris à ces manipulations monétaires et il suffit de lui expliquer que c’est pour « protéger les emplois suisses » et il trouve ça absolument formidable, citoyen et responsable. Bien sûr, ce n’est pas la direction générale du groupe Nestlé qui va lui dire le contraire.
Cette petite anecdote devrait nous permettre de comprendre comment il est possible que Jean-Luc Mélenchon et Serge Dassault réclament en même temps une dévaluation de l’euro : Le premier est une brute imbécile, le second est un truand rusé et si ce pays comptait un peu plus d’hommes avertis, nous prendrions soin de ne surtout pas les écouter.
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Sur le web.
Notes :
[2] Si vous avez raté les épisodes précédents, c’est par ici.
[3] Un autre nom pour « banquiers centraux ».
[4] Voir par ici.
[5] Bien que, pour être tout à fait juste, c’est plutôt un mouvement de fuite face aux expériences de la BCE et de la Fed.