FFCF 2011, deuxième jour. C’est maintenant que les choses sérieuses commencent. Le bonbon sucré offert en ouverture est dans le rétroviseur, et il est désormais temps de partir à l’aventure vers des sentiers moins balisés. Pour l’occasion, les projections du jour quittent la salle de la tranquille rue Git-le-Cœur pour investir celles donnant directement sur la rue Saint-André des Arts, promettant le feu des projecteurs au Festival après la tranquille rue Christine des éditions précédentes.
Est-ce cette nouvelle position stratégique ou une réelle curiosité grandissante des cinéphiles parisiens ? Il nous faut peu de temps avec mon comparse ID de Made in Asie pour remarquer qu’il commence à y avoir une jolie petite file d’attente devant le cinéma pour la salle projetant Miracle on Jongno Street. Hormis les têtes habituelles que je reconnais, il semble effectivement que le FFCF commence déjà à attirer de nouveaux amateurs. Les rangs sont loin d’être vides, ce qui n’était pas gagné d’avance pour un documentaire traitant de l’homosexualité en Corée du Sud.
Le cinéaste Lee Hyuk Sang, lui-même gay, suit quatre hommes homosexuels dans leur quotidien, entre coming out, vie sociale, rapport à la sexualité… Pour ceux qui avaient assisté à l’édition 2009 du Festival Franco-Coréen du Film, 3xFTM leur reviendra sûrement en mémoire à la vision de ces quatre portraits coréens. Un réalisateur galérant pour monter ses films tournant autour de l’homosexualité, un activiste des droits des homosexuels ayant du mal à distancer sa vie personnelle et sa vie professionnelle, un cuisinier craignant de faire son coming out et trouvant son bonheur dans le chant, et un activiste dans la lutte pour la reconnaissance des droits des séropositifs.
Quatre portraits qui sont l’occasion de s’immiscer dans le versant queer de la Corée qui reste assez méconnu, et donc curieux et passionnant. Il y a chez chacun de ces hommes assez de vérité, de doutes, d’interrogations, d’espoir et de désillusions pour rendre le documentaire intrigant. Ce qui semble un peu regrettable, c’est la forme sous laquelle Lee Hyuk Sang a choisi de brosser ces histoires, à savoir quatre portraits successifs et distincts, quatre chapitres de près de trente minutes chacun, à découvrir l’un après l’autre. Or il y avait peut-être mieux à offrir dans la forme pour mettre le fond du film plus en valeur. Casser un peu ce montage propre et lisse pour faire s’entrechoquer ces destins, mettre ces portraits en parallèle plutôt que les aligner en quatre blocs massifs qui tendent trop vers la longueur. Le réalisateur a sûrement voulu les mettre ainsi sur un pied d’égalité, voulant éviter que l’un polarise l’attention.
Les vérités, qu’elles soient murmurées ou assénés dans Miracle on Jongno Street, ont tout de même suffisamment de poids pour rendre le film fort. Les coulisses du cinéma indépendant gay sont parfois édifiantes, le combat des séropositifs pour se voir accorder des droits élémentaires est inspirant, et le destin de ce cuistot chantant et dansant à travers le pays est des plus touchant, surtout lorsqu’il laisse échapper des phrases lourdes de sens sur ses contradictions par rapport à son homosexualité et sa relation avec ses proches auxquels il n’ose avouer son homosexualité. « Je ne peux pas l’avouer à mon grand frère, il ne l’accepterait, et je le comprends, moi-même si j’étais à sa place je ne l’accepterais pas ».
Avec un différent montage, le film m’aurait certainement fait très grande impression, malgré quelques portes ouvertes bien enfoncées par le film, à moins qu’à l’échelle de la Corée, ces portes-là étaient-elles désespérément fermées…
Tout au long de Miracle on Jongno Street, les protagonistes du documentaire semblent en train de manger ou cuisiner, et à la sortie de la salle, l’estomac crie famine, et ce n’est qu’après l’avoir calmé avec autorité qu’une opération file d’attente se met en place jusque devant le « Théâtre Superérotique Chochotte » voisin pour aller se poser devant le second film du soir, Bleak Night. Si Miracle on Jongno Street était un des long-métrages en compétition, Bleak Night est le premier long-métrage du jeune cinéaste Yoon Sung Hyun, invité du FFCF 2011 pour lequel il rencontrera le public parisien samedi soir. Écrire sur ce long-métrage n’est pas chose aisée après la projection de mercredi soir, tant celle-ci m’a été douloureuse sans que la qualité du long-métrage en soit la cause.
J’ai souffert tout du long à cause… du projecteur de sous-titres. Je sais cela semble idiot, mais je n’ai jamais caché… comment dire… ma maniaquerie dans une salle de cinéma, et il y a certaines choses qui me sortent totalement d’un film. Parmi elles, la lumière. Souvent, celle-ci se matérialise sous la forme de Smartphones que leurs propriétaires allument en cours de film pour checker leurs emails ou lire un sms (je milite ardemment pour le bannissement des salles de cinéma de tels individus !). Mercredi soir, la lumière est apparue dans la salle 1 du Saint-André des Arts, donc, sous la forme d’un projecteur à sous-titres.
J’étais assis deux rangs derrière cette machine ô combien précieuse pour nos offrir des sous-titres bienvenus, mais une machine projetant une lumière vive insupportable sur le siège situé devant elle. Et moi, cette lumière reflétée sur le siège était là, dans mon axe de vision, broyant l’ombre de la salle pour se faire une place entre les têtes, sous l’écran. Elle était là, tâche insupportable et difficilement évitable, crânant sous mes yeux, détournant trop souvent mon attention de l’écran. Car au lieu de suivre les dix premières minutes du film, je cherchais la position idéale pour que ce maudit éclair lumineux ne reste pas dans mon champ de vision pendant la projection. Bien droit dans mon siège, affalé sur le côté gauche, tassé sur moi-même, penché en avant, appuyé sur mon voisin de droite, je me suis remué dans tous les sens tout du long du film, en fonction des mouvements des têtes me séparant de la lumière.
Comment donc me concentrer sur Bleak Night en même temps ? Ce fut dur, ce qui est d’autant plus regrettable que le film n’est pas du genre linéaire et simple, mais un drame complexe et nuancé, s’appuyant sur des ellipses, des flashbacks, des non-dits, des arrière-plans… Bref un film qui nécessite une attention de tous les instants, luxe que je n’ai pu m’offrir. Cette histoire d’un père interrogeant les camarades de classe de son fils lycéen récemment décédé pour tenter de comprendre ce qui s’est passé recèle à l’évidence une belle richesse dans le traitement de ses personnages. Ma concentration diminuée ne m’a pas empêché d’y distinguer l’ambition d’un jeune cinéaste cherchant à échapper aux schémas classiques de la narration, à ne pas laisser ses personnages se complaire dans le manichéisme ou la simplicité, à ne pas prendre le spectateur par la main pour tout lui montrer, tout lui expliquer.
Yoon Sung Hyun joue, il nous égare, dessine plusieurs visages à ses protagonistes, floute nos rapports au temps. Il préfère l’évocation à l’étalage, rendant son film intrigant et défiant, bien que trop long. Bien sûr tout ceci n’est peut-être que l’extrapolation d’un spectateur aveuglé par la lumière, d’autant que pendant Miracle on Jongno Street, les sous-titres étaient si faibles qu’ils étaient à peine lisibles, et que pour Bleak Night, ils étaient assez peu coordonnés avec les dialogues coréens, ce qui a le don de dérouter. Avec quatre films au programme le lendemain, espérons que les sous-titres et moi ferons la paix, sous peine de défaillance physique.