Lorsque je me suis cassé la tête la semaine dernière à dresser mon emploi du temps pour la sixième édition du Festival Franco-Coréen du Film (une torture quand on se rend compte qu’on ne pourra pas tout voir !), j’ai constaté que je ne pourrais pas échapper aux journées à quatre films. Entre les longs-métrages de la section « Paysage », les films du réalisateur invité, les avant-premières, les courts-métrages, et les classiques, difficile de tisser un agenda léger pour en voir un maximum en huit jours. Du coup, rien entre jeudi et dimanche, ce sont 14 films qui sont à mon programme.
Jeudi 13 octobre, troisième jour du festival, était donc la première journée marathon à quatre films. Levé à 11h30 après avoir écrit jusqu’à plus de 3h du matin, je me suis finalement vite retrouvé devant le St-André des Arts, sandwich dans une main, ticket pour Come, Closer dans l’autre. Ma journée entière prendra place au FFCF, de 14h à minuit, lorsque je sortirai de la salle 2 et trouverai Yoo Dong Suk, le directeur du festival, attendant la fin d’une journée bien remplie.
Mais je m’avance. Dix heures plus tôt, j’entamais donc la journée avec Come, Closer, long-métrage de la section « Paysage ». Un premier long nous apprend Pierre Ricadat, un des programmateurs du festival, d’un cinéaste s’étant amplement fait la main sur le format court. Et cela se voit à l’écran, tant le film ressemble presque à un film à sketches. Le film traite en plusieurs panneaux des relations amoureuses. Un garçon qui quitte son compagnon pour une fille, une jeune femme qui harcèle son ex-petit ami, ou deux amis de sexes opposés qui dialoguent de leurs vies sentimentales.
L’une des premières scènes, où un garçon et une fille se font face dans une pièce, n’osant s’approcher l’un de l’autre alors que le désir réciproque est palpable, fait forte impression dans sa durée. Elle s’étire sur une vingtaine de minutes peut-être, au cours desquelles les deux personnages sont subtilement croqués, où l’on devine les hésitations, la curiosité, la timidité, avant qu’ils ne se jettent dessus à même un bureau. Cette séquence a placé haut mes espoirs pour le film, avant que finalement tout tombe très vite à plat. Car avec l’heure qui suit, le réalisateur Kim Jong-Kwan se contente finalement de dialogues sans relief, de situations éculées, et d’une mise en forme qui ne ressemble à rien de mieux qu’à un bout à bout de courts-métrages.
Heureusement, le film reprend des couleurs dans son dernier segment, celui d’une chanteuse et d’un guitariste qui se baladent vers Namsan Tower, lui la charriant elle sur sa vie amoureuse tout en dragouillant des jeunes femmes qu’ils croisent. Ce personnage masculin enjoué apporte enfin un peu de vie dans le film, quand l’encéphalogramme restait désespérément plat depuis plus d’une heure. La bonne nouvelle qu’a apporté en revanche Come, Closer, c’est que le public parisien est bel et bien présent pour le FFCF, même en pleine semaine aux séances d’après-midi.
Après cette entame de journée trop morne à mon goût, le baromètre de la bonne humeur a affiché une santé radieuse avec le second film, Castaway on the Moon. Le film de Lee Hae-Jun avait connu un beau succès en Corée, quelques semaines avant que j’y débarque en 2009. Vue la bonne humeur qui s’est dégagée de la projection du film au FFCF, c’est amplement mérité. Le film s’ouvre sur l’un des ponts franchissant le fleuve Han à Seoul. Un homme en costard cravate s’y tient au-dessus du vide, au bout du rouleau, prêt à se jeter dans à l’eau pour en finir. Mais monsieur Kim, c’est son nom, se rate, et au lieu de ne jamais se réveiller, il rouvre les yeux sur l’île de Bam, une île déserte parsemée d’arbres se trouvant au milieu du fleuve en plein Seoul. Tout d’abord paniqué, ne sachant pas nager pour rejoindre la ville, Kim finit par trouver son compte à avoir quitté la civilisation et à vivre sa vie tranquillement sur son île.
Dans cette première partie, Castaway on the moon rappelle assez nettement Seul au monde de Robert Zemeckis, sauf que l’une des plus grosses mégapoles du monde est à portée d’yeux du protagoniste et qu’il prend plaisir à faire bande à part. Bourré d’humour (la scène où le naufragé essaie de faire du feu est un régal), le film doit beaucoup à son acteur Jeong Jae-Yeong, qui tient à merveille le rôle du suicidaire esseulé et bientôt misanthrope. Le scénario aurait pu avoir du mal à tenir sur la longueur toutefois s’il s’était contenté de ce personnage. Or Castaway on the moon introduit un second personnage qui fait rebondir le film judicieusement. Une jeune femme hikikomori sur les bords (même franchement), n’étant pas sortie de sa chambre depuis trois ans. Sa chambre justement donne sur l’île où notre naufragé a échoué. Elle qui ne s’intéresse pas aux autres et au monde extérieur va remarquer sa présence et se prendre de passion pour cet homme étrange, avec lequel elle va tenter de rentrer en communication.
Entre celui qui ne peut plus voir ses semblables en peinture et celle qui a abandonné le reste du monde de son plein gré, Castaway on the Moon s’est trouvé deux personnages divins pour le palais cinéphile, des handicapés de la société pour qui le monde se résume à un pré carré dont ils sont les seuls maîtres. Dès lors, sans oublier la folie qui le caractérise de bout en bout par ses détails scénaristiques (j’ai un faible pour les minis robots qui aident la jeune femme à détourner l’attention du gardien de son immeuble), une tendresse s’empare du regard du cinéaste pour ses anti-héros déphasés mais fougueux. C’est cette corrélation savoureuse qui fait le sel du film et le pare de cette énergie jubilatoire. Avec la pêche que m’a donné Castaway on the Moon, c’est certain, je finirai ma journée marathon sans ciller ni trembler !
A la sortie du film, alors que j’hésite à m’attraper à manger (il est près de 19h, la prochaine séance est à 19h30, et mon prochain créneau pour grignoter ne se présentera pas avant 21h30…), je tombe sur des amis du site Mirae récemment rentrés de Corée ayant mille choses à me raconter pour mon plus grand plaisir… mon estomac attendra donc, car en un rien de temps, il est temps de retourner en salle 2 pour aller découvrir Eunuch, version 1986. Le film fait partie de la section KOFA Classiques présentant de vieux films coréens. Cette année, la thématique liant les films, après les films d’action l’année dernière, est le remake, le festival projetant des vieux films et leurs remakes des années 80. Eunuch est donc le remake d’un film du même titre datant de 1968 et passé quelques heures plus tôt dans la journée.
Le long-métrage prend place à la cour du roi, où les seuls hommes admis sont des eunuques, afin de s’assurer que les nombreuses concubines auront l’attention du seul souverain. Mais l’un de ces eunuques est justement amoureux (et c’est réciproque) d’une des nouvelles concubines du roi, et les deux amants vont tout faire pour s’enfuir ensemble du palais. Intrigues de cour, passion amoureuse interdite, Eunuch ne s’interdit rien pour faire souffler un air d’aventure et de romance dans un cadre que l’on pourrait pourtant attendre guindé. Or sa belle facture visuelle, ses comédiens dans le ton (Ahn Sung Ki dans sa jeunesse !) et son sens de la tragédie en font un film qui vieillit bien. Dommage que nous étions peu nombreux dans la salle pour le constater, les spectateurs ayant préféré aller rencontrer le cinéaste Yoon Sung-Hyun venu présenter ses courts métrages dans la salle voisine.
Plus qu’un film, et la journée marathon serait terminée. L’ami Guillaume d’1kult a cherché à me couper l’appétit en amenuisant les qualités de Castaway on the Moon comparées à celles de Sunny, et surtout en balayant d’un geste la grandeur de Poetry de Lee Chang Dong alors que nous attendions la dernière entrée en salle de la journée, mais c’est aussi pour ce genre de conversation semblables à des duels que j’aime le festival (d’autant qu’il avait tort, et moi raison… évidemment !). Tandis que la queue était monstre sur le trottoir pour la seconde projection de Sunny, qui verrait le réalisateur répondre aux questions des spectateurs à l’issue du film, nous étions un comité beaucoup plus restreint décidé à aller voir Re-encounter, un nouveau film de la section « Paysage ».
Pendant 1h20, j’ai cru que je tenais déjà LA révélation du festival. Une petite merveille de film où la douceur et l’amertume s’entrechoquent avec grâce. Pendant 1h20, le film fait presque un sans faute. Il noue l’histoire de Hye-Hwa, une jeune femme recueillant les chiens errants chez elle et travaillant chez un vétérinaire. Un jour, son ancien petit ami refait surface, à son grand désarroi. Elle voudrait qu’il disparaisse, mais lui revient vers elle, et lui apprend que la petite fille qu’ils avaient eu cinq ans auparavant est toujours en vie, contrairement à ce qu’ils pensaient, et qu’elle aurait été adoptée. Sans fausse note, avec une maîtrise esthétique remarquable pour un si petit film, le jeune réalisateur Min Yong-Keun parvient à donner vie à ses personnages avec un beau réalisme. On est loin de la platitude de Come Closer vu quelques heures plus tôt. Ici, le réalisateur parvient à donner un corps et une âme à ses personnages, ils sont filmés au plus près, parlent la douleur, l’absence, l’incompréhension avec une réelle épaisseur. Avec finesse et subtilité, Re-encounter se fait drame sur la difficulté à surmonter l’absence et le manque, malgré les affections de substitutions. Les questionnements et doutes des personnages sont abordés avec sensibilité.
La déception pointe pourtant dans la dernière demi-heure, lorsque le réalisateur, par ses choix scénaristiques, ne parvient pas à maintenir cette délicatesse dans son sujet. Il s’embourbe un peu dans le fantasque pour ce qui est des réactions de ses personnages. Quelle aurait été mon émotion si j’avais trouvé jusqu’au bout cette justesse ? Au lieu de cela, un regret va s’associer au film, tant les promesses étaient belles, et même plus que des promesses tant le film subjugue presque tout du long. Malgré cet accroc final, nul doute que Re-Encounter fait partie des films importants du festival, et que la délicatesse de la jeune comédienne Yoo Da-in m’a touché.
J’en suis sorti à minuit, trouvant le directeur du festival attendant que le réalisateur de Sunny en ait fini avec ses spectateurs parisiens. Mais cela je vous l’ai déjà raconté n’est-ce pas ? L’air était doux, la journée marathon achevée. Quelques heures pour la coucher sur papier et dormir, avant de remettre ça le lendemain.