Suite à l’échec artistique et public de l’abominable Top Cops, nombreux étaient ceux qui pensaient que Kevin Smith avait fini par rejoindre le club des réalisateurs ayant vendu leur âme au tout-puissant Hollywood. Quelle ne fut pas la surprise alors d’apprendre de la bouche du principal intéressé que celui-ci allait ensuite s’attaquer à la réalisation de son premier film d’horreur. Un film dont le sujet serait les fanatiques religieux de la « Bible Belt » aux Etats-Unis. Un projet audacieux et risque s’attaquant a un tabou majeur au pays de l’Oncle Sam, mais finalement assez logique pour Smith, qui s’était déjà frotté à la religion avec l’irrévérencieux Dogma.
Ce qui surprend de prime abord lors du visionnage du film, c’est le sérieux avec lequel Kevin Smith traite son sujet. Certes, on reconnait la patte du réalisateur dans les longs dialogues fleuris, mais malgré quelques touches d’humour grinçant (dont un final sous forme de deus ex machina malin et gonflé), le film garde un ton relativement sérieux tout du long. Et si la bande-annonce laissait augurer d’une sorte de torture porn à la Hostel, il n’en est au final rien, Smith préférant privilégier l’ambiance aux scènes gores et au jump scares faciles. A vrai dire, Red State joue plutôt dans un registre proche des films des années 70, bâtissant une ambiance malsaine et sortant le spectateur de sa zone de confort en lui montrant des événements et comportements tout à fait crédibles. On pourra tout de même lui reprocher d’être un peu avare en réels frissons et de parfois se disperser un peu dans différents genres (teen comedy, film d’horreur, film d’action…).
Le point le plus intéressant du film, c’est que Kevin Smith évite de tomber dans le manichéisme, notamment lorsque le FBI assiège la maison des fanatiques. Loin de traiter les agents gouvernementaux en héros venus sauver les pauvres victimes de la secte, il les présente comme des types prêts à tout pour masquer leur bévue, quitte à assassiner des enfants innocents. Le réalisateur s’amuse donc beaucoup à renvoyer dos à dos les deux camps, avec les pauvres ados coincés au milieu.
L’autre surprise vient de la réalisation proprement dite du film. Kevin Smith a toujours été un très bon dialoguiste, mais il faut bien reconnaitre que ses films sont pour la plupart assez peu excitants niveau réalisation. Il est donc réellement surprenant de le voir ici faire preuve d’une maitrise rare, notamment lors des scènes de fusillade. Il va même jusqu’à filmer avec brio certaines scènes camera à l’épaule pour renforcer le sentiment d’immersion.
Enfin, comme la plupart des autres longs métrages de Smith, Red State donne la part belle aux acteurs. Dans le camp des « bad guys », Melissa Leo et Michael Parks s’imposent avec aisance. Lui est à la fois fascinant et terrifiant en leader charismatique (voir l’excellente scène du discours), et elle représente juste ce qui se fait de pire dans le registre « fanatique jusqu’auboutiste ». Face à eux, on a plaisir à retrouver l’immense John Goodman, parfait en agent dépassé par les événements et qui répugne à suivre des ordres immoraux. Malheureusement, au milieu de ces acteurs talentueux, les trois jeunes héros ne possèdent pas suffisamment de charisme pour s’imposer, et du coup le film manque cruellement de protagoniste pouvant servir de point d’ancrage émotionnel pour le spectateur.
Si Red State n’est clairement pas une œuvre séminale ni le film d’horreur terrifiant que Smith tentait de vendre, il n’en demeure pas moins une péloche suffisamment barrée et audacieuse dans les thématiques abordées pour soulever l’enthousiasme. En tout cas, le film démontre que l’affreux Top Cops n’était bien qu’un accident dans la carrière du réalisateur.
Note : 7/10
USA, 2011
Réalisation: Kevin Smith
Scénario: Kevin Smith
Avec: Michael Parks, Melissa Leo, John Goodman, Michael Angarano, Nicholas Braun, Ronnie Connell