L’accord entre Israël et le Hamas pour la libération de prisonniers démontre que dans le dossier palestinien seuls les rapports de force et l’opportunisme politique font avancer les choses. Face à cette réalité, les appels à la conscience, au bon sens, à la bonne volonté, ou à l’urgence historique d’une solution, apparaissent illusoires.
Le gouvernement de Benjamin Netanyahu et le mouvement islamiste, qui contrôle la bande de Gaza, ont négocié par l’intermédiaire de l’Egypte pour libérer le soldat Gilad Shalit en échange d’un millier de prisonniers palestiniens. Shalit a été capturé le 25 juin 2006 et est détenu depuis dans la bande de Gaza, sans que les forces israéliennes n’aient pu le localiser. Il sera remis aux Egyptiens, et Israël fera sortir de ses prisons deux vagues de militants palestiniens accusés d’avoir porté atteinte à la sécurité de l’état hébreu.
Dans l’immédiat, cette mesure va mettre fin au calvaire du jeune soldat israélien et faire la joie des familles des détenus palestiniens. Mais cet accord entre le gouvernement israélien et un mouvement qu’il considère comme « terroriste », et qu’il présente comme son pire ennemi, va également avoir toute une série de conséquences et d’implications politiques, dont la portée devra être mesurée avec prudence.
Le premier ministre israélien va tirer bénéfice de cette échange face à l’opposition d’une partie de la société civile qui pendant tout l’été a campé dans les villes israéliennes pour lui reprocher de mettre les intérêts des cercles d’affaires au dessus des intérêts du pays. Et le bien-être des colons dans les territoires occupés au dessus des besoins sociaux et économiques de la majorité des citoyens. Avec la libération de Shalit, Netanyahu va mobiliser autour de lui un nouveau consensus national, qui devrait –au moins pour quelque temps– le mettre à l’abri de ses critiques.
Pour le Hamas, le bénéfice est encore plus grand. Le mouvement islamiste peut se prévaloir d’un succès concret, tangible, face à Israël. Et cet épisode, et la liesse qui va l’accompagner, mettront en lumière le caractère pathétique des gesticulations diplomatiques du grand concurrent du Hamas, le président de l’OLP et de l’Autorité palestinienne Mahmoud Abbas. L’initiative récente d’Abbas à l’ONU a certes reposé la question qui reste sans réponse depuis des décennies de la création d’un état palestinien, mais elle n’a pas rapproché les Palestiniens de cet objectif. Le Hamas, qui avait critiqué Abbas pour cette démarche, peut se prévaloir d’obtenir des résultats mesurables, là où l’OLP et Abbas échouent à tirer d’Israël la plus minime des concessions. Et a fortiori la reconnaissance, même purement symbolique, d’un état palestinien.
L’échange de prisonniers met également en lumière la neutralisation sur le dossier palestinien, mais plus généralement dans les affaires du Moyen-Orient, de Barack Obama. Dès le début de sa présidence, Obama avait voulu insufflé un esprit nouveau aux efforts de solution dans la région. Il avait parlé de justice, de respect des droits de l’homme, de liberté et de démocratie. Et il avait tenté de faire négocier de bonne foi des protagonistes, incapables de se mettre d’accord en dépit de l’implication de ses prédécesseurs à la Maison Blanche. Mais depuis, il a dû réduire ses ambitions, et abandonner ses illusions. Son discours récent à l’ONU, où il a rejeté l’idée d’une reconnaissance internationale de la Palestine, et a apporté un appui sans partage à l’état hébreu est une victoire pour Netanyahu et pour les Républicains américains, qui soutiennent aveuglèment les positions les plus intransigeantes de l’état hébreu. Sans rôle dans cet accord d’échange, il ne peut que saluer ce pacte passé entre un premier ministre israélien qui l’a humilié publiquement et une organisation palestinienne que Washington considère comme un péril. Et il devra sans doute affronter les lazzis de ses détracteurs républicains qui vont saluer le réalisme politique de leur champion Netanyahu et moqer la naïveté du président démocrate.
L’accord d’échange entre Israël et Hamas est un immense soulagement pour tous ceux qui attendent depuis trop longtemps la libération de parents ou d’amis. Mais il ne règle rien. Il rappelle au contraire que la logique de la tension semble la seule comprise par les acteurs les plus déterminés dans cette confrontation palestino-israélienne qui perdure. Il démontre l’efficacité de la violence sur les tentatives pacifiques de réconciliation et il justifie le recours à la terreur et à son corrolaire, la répression.