Théâtre Tristan Bernard
64, rue du Rocher
75008 Paris
Tel : 01 45 22 08 40
Métro : Villiers
Une comédie d’Eric Assous
Mise en scène par Jean-Luc Moreau
Décor de Charlie Mangel
Avec Jean-Luc Moreau (Bob), Anne Loiret (Delphine), José Paul (Xavier), Anne-Sophie Germanaz (Garance)
L’histoire : Dans un couple, la vérité est toujours mise à rude épreuve tandis que le mensonge ne demande qu’à s’installer. « Les Conjoints » nous rappelle que le bonheur n’est pas un état permanent mais un équilibre précaire. Fertile en rebondissements, l’intrigue, qui mêle le pouvoir ravageur de l’argent et le jeu subtil des sentiments, met en scène deux hommes et deux femmes ballotés entre leur éthique, leurs intérêts et leurs émotions. Tout le monde a quelque chose à revendiquer. Tout le monde a quelque chose à cacher. Tenté par la transgression, mais soucieux du qu’en dira-t-on, chacun se débat avec ses raisons. Bonnes ou mauvais, petites et grandes, morales et obscures…
Mon avis : Une comédie ? Hum ! Pas vraiment, même si on rit beaucoup. Ou alors, il faut l’entendre dans le sens « comédie humaine » dans l’acception balzacienne du terme…
Eric Assous excelle vraiment dans les pièces où il met en scène des problèmes de couples. Il est extrêmement fin dans son étude psychologique et comportementale des mâles et des femelles. Dans chacune de ses pièces on y retrouve les mêmes profils de mecs un peu lâches, beaucoup menteurs, pas vraiment glorieux. Quant aux femmes, même si elles nous paraissent plus droites, plus franches, plus entières, elles ont (heureusement) elles aussi leur part d’ombre. Ici, c’est surtout la vénalité… Car l’argent tient une place prépondérante dans l’intrigue. Il a la capacité de faire infléchir les sentiments a priori les plus sincères.
Dès l’entrée en matière, on voit que Delphine et Xavier ne sont pas sur la même longueur d’onde dans la gestion de leur ami Bob qui vient de quitter son épouse pour une jeunette. Xavier veut se montrer cool et conciliant quand Delphine, par solidarité féminine avec sa copine abandonnée, elle se montre très réticente, voire hostile, à son égard. Elle commence même à pousser ce pauvre Xavier dans ses retranchements à propos de la nouvelle élue de Bob, une certaine Garance. Un questionnaire qui frise carrément l’inquisition. Une situation que l’on tous (je parle des hommes) peu ou prou vécue… Commencent alors les petits chantages et les compromissions. Xavier est sur les sables mouvants et le doute s’insinue dans l’esprit aiguisé et méfiant de Delphine.
Il est vrai que Bob, dès qu’il entre en scène, se révèle particulièrement irritant. Néanmoins, il démolit le réquisitoire de Delphine en lui présentant une défense remarquable. Mine-de-rien, sous couvert de la comédie, des choses profondes sont énoncées. Tout n’est pas noir, tout n’est pas blanc. Le problème avec ce bavard impénitent qu’est Bob, c’est qu’il est très gaffeur. A moins qu’il ne soit QUE calculateur. Le doute est permis. En tout cas, il fait preuve vis-à-vis de son ex et de ses amis d’une belle générosité. Mais sa désinvolture avec un argent tombé du ciel, le rend tout aussi détestable. Surtout aux yeux de cette incorruptible de Delphine. Autant elle est dure et réaliste, autant Xavier s’efforce de se montrer arrangeant avec son pote. Mais Delphine veut aller au clash…
Les trois premières scènes de cette pièce vont crescendo en intensité. On rit souvent certes, mais d’un rire grinçant. Car on rit de choses souvent sérieuses, et parfois graves. Les Conjoints ne donnent pas vraiment dans la franche rigolade. Les dialogues sont remarquablement écrits, ils touchent et frappent juste.
La pièce est construite en huit tableaux. Les trois premiers, le cinquième et le septième concernent le présent. Les quatrième et sixième sont deux flash-back, ce qui est diaboliquement habile et nous aide à encore mieux comprendre les différentes attitudes des quatre protagonistes. Quant au huitième et dernier tableau, qui sert de conclusion (provisoire, certainement), il s’inscrit dans un futur proche.
Pas question de narrer par le menu ce passionnant chassé-croisé auquel se livrent nos héros. Chacun vit et gère sa vie en fonction de sa mentalité. Maintenant, de là à dire que chacun va pouvoir se regarder sereinement devant sa glace, il y a un sacré fossé à franchir.
Jean-Luc Moreau apporte au personnage de Bob toute sa superbe. Il est hâbleur, narcissique, sûr de lui, séducteur pathologique, il n’a pas son pareil pour plaider sa cause et trouver des arguments qui lui paraissent irréfutables. Il est affligé d’une kyrielle de défauts qu’il assume sans vergogne. Il en arrive même parfois à forcer la sympathie.
José Paul donne à Xavier une dimension masculine archétypale. Il est un peu le mec-étalon. Pas dans le sens équin du terme, mais dans sa normalité car il synthétise un peu toutes les faiblesses les plus répandues chez les garçons : la propension à la fuite, la pusillanimité, l’égocentrisme, etc, etc… José Paul joue tout en nuances. Il ne force jamais le trait. C’est peut-être pour ça que l’on se reconnaît si aisément en lui…
Anne Loiret, dans le rôle de Delphine est finalement bien plus complexe qu’il n’y paraît. Fondamentalement, c’est une femme droite, franche et vertueuse. Et donc chiante, surtout pour ce pauvre Xavier lorsqu’elle le prend dans sa toile d’araignée savamment tissée. Limite psychorigide, elle est tout ce que l’on redoute. Et puis, par petites touches, apparaissent quelques fissures dans la fille sûre. Elle a l’air solide comme ça, indomptable, et pourtant…
Anne-Sophie Germanaz, alias Garance, est beaucoup moins ambiguë. Elle représente un autre type de femme, plus jeune, plus futile, plus vénale… Plus paumée aussi. C’est très subtil comme jeu car il repose essentiellement sur l’instinct et le réflexe. Elle n’est pas encore construite, elle n’a pas encore de vécu. Alors, elle improvise au gré de ses humeurs… ou de ses intérêts.
Les Conjoints, pièce qui devrait plutôt s’appeler « Les Disjoints », est donc une comédie douce-amère. Elle joue beaucoup avec les sentiments et les transgressions. Elle est très, très humaine en ce sens où la noblesse y côtoie la bassesse chez la même personne. Elle est tout, sauf manichéenne. On ressent donc tout plein d’indulgence à l’égard de ces quatre personnages qui ont tous un peu de nous en eux à différents moments. C’est une pièce plus sérieuse dans le fond qu’il n’y paraît même si, dans sa forme, c’est une vraie et bonne comédie.