Gérard RAYNAL – Le secret de Font-Clare : 7+/10
Voici un très beau roman du terroir qui nous plonge dans les ombres des vignobles du domaine de Font-Clare en 1938.
L’écriture, excellemment bien assortie au ton de l’histoire, à l’époque et aux secrets enfouis, est fluide et imaginative, donnant du relief aux personnages mais également aux sensations et aux tableaux dressés.
L’histoire est celle de Jean Lagarde :
Jean Lagarde est le fils d’une famille riche, propriétaire de vastes vignobles. L’été 1938 il a quatorze ans. Jusqu’ici, il vivait sa vie d’enfant au sein d’une famille dans laquelle il acceptait tout comme un fait acquis sans le questionner, mais cet été là, à l’occasion de la visite de quelques parents et notamment de sa cousine Violette, il s’apercevra que la vie de ses aînés est bien plus sombre et bien moins lisse qu’il ne l’imaginait, que ce qui lui semblait familier ne l’est pas tant que ça.
Tout commence le jour où il découvre, au détour d’une exploration d’adolescent, une vielle crypte et dans cette crypte une vielle sépulture. Seul un nom et une date y figurent : « Eloïse, douze octobre mille neuf cent vingt trois ». Ceci ne serait pas aussi étonnant si ce tombeau, pourtant enfoui dans ce lieu abandonné du domaine, n’était orné d’un bouquet de fleurs frais !
Jean est immédiatement intrigué et son esprit ne pourra plus se détacher de la mystérieuse « Eloïse » ! Une première fissure dans le mur de l’enfance.
Arrive alors sa cousine Violette, son aînée de deux ans. Et avec elle un nouveau sentiment – l’amour. La présence de Violette va le secouer et bien qu’il s’agisse de sa cousine, Jean ne pourra s’empêcher d’éprouver des sentiments forts à son égard.
Est-ce que c’est cette nouvelle émotion qui changera son regard sur le monde ou est-ce simplement la curiosité qui le pousse à rechercher des renseignements sur la mystérieuse Eloïse que personne ne veut lui donner ? Le fait est que Jean découvre que sa famille n’est pas aussi heureuse qu’il le pensait, que sa mère est bien trop dominante, que son père se sent emprisonné, que son grand-père s’étouffe dans les regrets et que les gens portent un regard étrange, presque haineux sur la famille de sa mère !
Nous suivons alors Jean au cours de cet été qui bouleversera sa perception du monde et sa vie toute entière.
Un roman qui nous plonge dans la vie de ce jeune garçon et avec lui dans les vignobles du domaine de Font-Clare sur fond d’une guerre encore lointaine qui sévit en Espagne.
Jean découvre l’existence de l’hypocrisie et de l’avidité, des non-dits et du mensonge, de la haine et du dépit, de l’amour et de la jalousie. Comme tout arrive en même temps, il a beaucoup de mal à discerner la vérité et de comprendre véritablement les évènements.
L’écritureest, comme je l’ai déjà observé en tête de mon petit commentaire, très belle, les expressions employées sont simples et pourtant originales. Une phrase peut suffire pour nous faire comprendre les pensées du jeune Jean.
Une particularité du style se révèle dans le changement de perspective dont l’auteur se sert, je pense, afin de décrire l’état d’esprit du jeune héros.
Le récit est livré à la première personne, mais au détour d’une phrase l’auteur peut passer à la troisième, et plus étonnant encore, à la deuxième personne.L’éloignement de la perspective me paraissait inversement proportionnel à l’intimité du récit, puisque lorsque l’auteur emploie la troisième personne, il parle d’un Jean aveuglé par l’amour pour Violette, qui semble dès lors observer ses faits et gestes de l’extérieur. De même, lorsque le récit passe – fait tout de même rare en littérature – à la deuxième personne, il s’agit généralement de scènes dans lesquels Jean est dans un état d’esprit perturbé par une forte émotion qui le fait agir comme dans un brouillard, et c’est donc comme s’il s’observait à travers les yeux d’un ami qui se tiendrait à ses cotés.
C’est assez surprenant, osé même.
Enfin, j’ai également quelques critiques à formuler :
Tout d’abord, une véritable incohérence : la date figurant sur la sépulture d’Eloïse ne peut être juste. Rappelez-vous, lorsqu’il découvre la tombe, il nous décrit l’inscription : « Eloïse, 1923 ».
Déjà, lorsque Jean parle de la tombe à un tiers, il mentionne celle d’une « Eloïse enterrée à Font-Clare en vingt et un » - coquille d’auteur ou erreur de Jean - plutôt une coquille puisque cette différence n’est à aucun moment relevée ou réajustée, nous ne le saurons jamais.
Mais ce n’est pas tout. Sans entrer plus dans les détails (je ne souhaite en aucun cas vous gâcher le plaisir de lecture), en recoupant les informations que nous recueillons par la suite sur Eloïse, son apparence, les causes l’ayant conduit dans la tombe et plus généralement les dates, il s’avère qu’il est totalement impossible qu’elle ait pu être enterrée en 1921 et encore moins en 1923, aucune des deux années ne peut être exacte. Je ne peux vous donner les raisons de cette affirmation sans vous livrer le secret de Font-Clare, mais vous le noterez en lisant le livre.
Ensuite, une petite observation : le placement de virgules est étonnant, parfois aléatoire et incompréhensible. Il y a de multiples exemples, comme p.ex. (exemples choisis au hasard, en feuilletant rapidement) : « Voulait-elle enfoncer dans ton cœur, le couteau tranchant des souvenirs » ou encore « … la perspective de nourrir deux bouches supplémentaires à midi, ne les réjouissait pas » ou encore « Violette avait revêtu une fort jolie robe qui laissait l’une de ses épaules, dénudée ». Comprends pas.
Dans l’ensemble « Le secret de Font-Clare » est un roman du terroir qui nous apporte exactement ce que nous attendons de lui : une envie de retourner sur les lieux tout d’abord, ne serait-ce qu’en raison de la beauté du paysage, de l’odeur de la terre et la couleur des vignobles, mais aussi une appréhension certaine devant l’endroit avec ses histoires que tous protègent dans un silence lourd, l’ambiance d’un petit village de campagne où tous se connaissent, ou les secrets ne sont que de polichinelle et ou les rancœurs peuvent remonter à des générations.
La douceur qui traverse le roman croise le fer avec les drames qui s’y jouent. Très joli !
Si vous aimez les romans du terroir, celui-ci vous plaira sans le moindre doute !