Après la séparation de l’Eglise et de l’Etat et la dissolution des congrégations dans les années 1905 et la marginalisation par la République de l’enseignement confessionnel, se posa la question de l’enseignement d’une morale « laïque » (ou plus exactement d’un « catéchisme laïc »), étant entendu qu’il ne pouvait être question de laisser les petits Français en friche eu égard à la question, encore essentielle alors, des normes du comportement individuel et des nécessités de l’ordre public et de l’aptitude à intérioriser la Loi, faute de « mouiller à la Grâce » (Charles Péguy).
Ce fut l’instauration des cours de morale. Mais où trouver un contenu sans trop donner l’impression de copier l’Eglise ?
« On » se tourna vers un philosophe allemand, admirateur de la Révolution française et nettement antérieur à la querelle de l’Alsace-Lorraine (« ne jamais en parler, y penser toujours ! ») : Emmanuel Kant, dont la morale exprimée dans la Critique de la Raison pratique est elle-même une laïcisation des préceptes évangéliques, à travers la Réforme protestante : c’est la fameuse « morale du devoir » qui stipule qu’un acte est d’autant plus « moral » qu’il est « désintéressé ».
De deux choses l’une, ou bien l’on reprend les cours de morale tels qu’ils étaient dispensés jusque dans les années 60 et qui consistaient à calligraphier en pleins et en déliés à la plume sergent-major une phrase elle-même calligraphiée en pleins et en déliés au tableau noir par l’instituteur/trice, ou bien l’instituteur fait un cours de philosophie (l’éthique) et ouvre un « débat ».
Luc Chatel n’a pas précisé où allait sa préférence, mais je ne vois pas comment, dans le contexte actuel, on peut en revenir au cours de morale tel que nous l’avons connu jusqu’aux années 60 (la calligraphie sans débat).
La vérité, c’est que Luc Chatel ne sait plus à quel saint se vouer et que faute de faire régner un semblant d’ordre dans les établissements scolaires – l’ordre n’étant pas une fin en soi, mais une nécessité liée aux conditions particulières de transmission du savoir à l’Ecole (la dimension collective de la classe), on se tourne vers la morale, en oubliant (ou en faisant semblant d’oublier) qu’à l’époque des leçons de morale ces conditions particulières étaient généralement réunies et faisaient l’objet d’un consensus tacite.
Et puis, à la veille des élections présidentielles, il faut bien essayer de faire oublier aux Français la suppression de 16 000 postes d’enseignants et les innombrables suppressions de classes pour obéir aux « critères de convergence » de la commission européenne qui gouverne désormais la France et lui dicte sa politique dans tous les domaines, y compris le domaine scolaire où elle excella jadis. Mais apparemment, le fait de supprimer à tour de bras des classes et des postes d’enseignants et de nommer les TZR (professeurs remplaçants) sur des postes de titulaires fait partie de la « morale » personnelle de Monsieur Chatel.
N.B. ; certaines municipalités sont désormais obligées pour conserver leur école de rémunérer l’institutrice ou l’instituteur sur le budget de la commune et des établissements privés sous contrat ouvrent des classes hors contrat.
En tout état de cause, nous en revenons au temps de Marcel Pagnol où « la morale du devoir » commençait déjà à se craqueler (elle est définitivement par terre aujourd’hui), comme en témoigne le savoureux dialogue dans Topaze autour des palmes académiques et de la manière la plus rapide et la plus sûre de gagner de l’argent (ou de ne jamais en gagner) et d’être « distingué », opposant un instituteur vertueux et féru de « morale » à un ami qui n’est ni l’un ni l’autre (et qui n’est pas instituteur), mais qui a les distinctions et l’argent et se fait fort de faire obtenir les palmes à l’instituteur pour de toutes autres raisons que son « mérite » (ses relations).
Comme le dit la société des agrégés par la plume de Monsieur Léost, chacun sait que les professeurs, ces admirables saints laïcs, « ne comptent pas leurs heures » et ne regardent pas leurs bulletins de salaire.
Il est amusant (si l’on peut dire) d’entendre un politique parler de cours de « morale », alors que (presque) tout le monde, à commencer par les politiques, se fiche éperdument de la morale, la « morale » consistant à flatter les riches, à se moquer des pauvres, à mentir, à se parjurer… à faire ce qui vous chante, à condition de ne pas se faire prendre. Mais certains commencent à se demander si, au fond et tout bien réfléchi, ça ne pourrait quand même pas servir à quelque chose… pour les autres.
N.B. : Au moment où j’écrivais ces lignes, n’avaient pas encore éclaté les révélations de Monsieur Robert Bourgi concernant les valises bourrées d’argent liquide de la France-Afrique, une grande leçon de « morale », au même titre que l’affaire Liliane Bettancourt, l’amnésie opportune de M. Jacques Chirac au sujet des emplois fictifs de la Ville de Paris et l’affaire des vedettes de Taïwan.
Oui, mais à quoi ? Imaginez un instituteur vraiment vertueux et féru de vérité qui expliquerait à Enzo et à Chloé que la morale, ça ne sert absolument à rien, ni à gagner de l’argent, ni à réussir dans la vie, ni à être l’heureux possesseur d’une Rolex avant l’âge de quarante ans, ni à être distingué, ni à être heureux, mais qu’il faut la pratiquer quand même, même si Dieu n’existe pas.
Et il faut bien avouer que les « valeurs » transmises par les cours de morale jusqu’aux années 60 – pour autant que je m’en souvienne : probité, goût de l’effort, entraide, générosité, modestie… sont aux antipodes de celles de la société actuelle, ce qui fait beaucoup de « résistances » à surmonter !
Je viens d’étudier avec un élève qui entre en troisième le début des Misérables de Victor Hugo, où le « digne aubergiste » refuse d’offrir le gîte et le couvert à Jean Valjean, sous prétexte qu’il sort de prison.
Il me semble qu’il y a là, et dans les oeuvres littéraires en général, de quoi réfléchir et faire réfléchir sur la « morale », au-delà de la calligraphie et du « débat » citoyen ; je pense aussi au Petit Prince d’Antoine de Saint-Exupéry pour les plus jeunes ou à ces admirables nouvelles sur la « charité » que sont Un coeur simple de Gustave Flaubert, Boule de suif de Guy de Maupassant ou au sermon du curé dans Manon des Sources de Marcel Pagnol pour les plus âgés.
Mais encore faudrait-il remettre en place une formation initiale et des heures de français au programme et considérer la « morale » comme autre chose qu’un ensemble d’interdits sociaux qu’il conviendrait de « restaurer » pour assurer des conditions de travail décentes dans les établissements scolaires, remplacer les parents défaillants, « moraliser le consumérisme » et empêcher les enfants d’imiter les adultes.
Ceci dit, et en ce qui concerne la nécessité de transmettre des connaissances - ce qui reste jusqu’à preuve du contraire la mission essentielle de l’Ecole – dans les meilleures conditions possibles, il me semble qu’il y a quelques principes essentiels valables à toutes les époques et sous toutes les latitudes qui ne souffrent aucune discussion.
Par Robin Guilloux Professeur de
lettres,
pour Agoravox
Merci à Section du Parti socialiste de l'île de ré