Marre de la cuisine à contre-saison !!! par Blandine Vié.#
Tout le monde s’accorde à dire que manger des fraises à Noël, c’est débile ! Il n’empêche que tous les ans pendant les fêtes, les étals de primeurs nous proposent des barquettes de fruits rouges en tout genre, que la plupart des pâtissiers — même de renom — inscrivent à leur gamme de desserts festifs un opus glacé aux giboulées de baies sauvages, et que pas un magazine de cuisine grand public n’omet de donner une recette de bûche aux fruits rouges. La débilité est donc consensuelle !
L’hiver, encore, on peut comprendre que le besoin de verdure se fasse sentir. Surtout vers la fin quand, gavés de légumes-racines à pot-au-feu riches en hydrates de carbone, la tentation d’acheter des haricots verts du Kenya gros comme des fagots peut titiller pour se donner l’illusion que le printemps est arrivé, leur prix fut-il dissuasif. Admettons !
Mais que dire, en revanche, quand ces anachronismes saisonniers ont lieu l’été où la palette des fruits et des légumes est pourtant si diversifiée ?
La prolifération des blogs et des sites de cuisine amateurs (… ou pas !) — et leur répercussion quasi immédiate sur les réseaux sociaux — est à cet égard éloquente. Ainsi, tout l’été sur Facebook, on s’est farci des coquilles Saint-Jacques, même sur les profils de chantres de la cuisine de la mer (le « spécialiste » auquel je fais plus particulièrement allusion est établi à Royan) dont on se demande comment ils peuvent ignorer que la pêche à la coquille Saint-Jacques est interdite en France entre le 15 mai et le 1er octobre, pour protéger l’espèce. Et qu’ipso facto, les coquilles proposées à la mi-août ne peuvent être que surgelées ou d’importation. D’ailleurs, renseignement pris auprès de l’intéressé, celles mises en exergue (photo à l’appui) venaient du Canada. Et après on parle de commerce équitable et de Grenelle de l’Environnement ! Il est d’ailleurs révélateur que 221 personnes aient cliqué « j’aime » pour ce carpaccio de Saint-Jacques — y compris des chefs ! — mais que mes commentaires sur la réserve aient été effacés. Il est vrai qu’à l’occasion, on peut aussi trouver des préparations à base de thon rouge dans les publications de ce monsieur qui, au demeurant, donne souvent des recettes épatantes.
Autre exemple que je trouve affligeant : un grand épicier (au sens de marchand d’épices) — son talent n’est pas en cause — a donné au mois d’août sur son blog (et par ricochet sur sa page Facebook) une recette de salade de tomates en argumentant que c’était le moment où jamais d’en manger puisque c’était un légume… de saison ! Enfin du bon sens ! me suis-je dit. Mais que nenni ! Car il s’agissait en fait d’une salade de tomates… à l’ananas ! Là encore, je suis allée mettre mon grain de sel et je me suis insurgée pour dire que je trouvais ça incongru et qu’en plus, ça devait augmenter le prix de revient. Mais le monsieur concerné, basé à Marseille, m’a répondu (en me traitant de casse-couilles et de rabat-joie) qu’en été là-bas, il trouvait des ananas à 2 € pièce au marché. En provenance d’Afrique. Alors là, je pose la question ? Combien a pu toucher le producteur africain et les ouvriers récoltants si l’on déduit le transport et la marge du revendeur ? Commerce équitable ???
Il n’y a pas que les ananas, d’ailleurs. Car les fruits exotiques (agrumes en tête) sont l’une des marottes estivales de nos cuisiniers en herbe ou en toque — en toc ? Combien de recettes avec des mangues ou des oranges en veux-tu, en voilà en plein mois d’août : mousseline d’oranges, purée d’ananas, et j’en passe…
Je n’ose évoquer les asperges dont on disait autrefois qu’après la Saint-Jean (le 24 juin), elles n’étaient plus que filandres, mais qu’on mange aujourd’hui jusqu’en automne ; les tomates insipides et aqueuses qui poussent hors sol du 1er janvier au 31 décembre ; les omniprésentes pommes dont tout le monde a oublié qu’il s’agit d’un fruit d’automne qui, hors saison, est conservé en chambres froides ; et tous ces produits qu’on nous inflige toutes saisons confondues tant on a rallongé leur durée de vie artificiellement.
Dans les années 70, Paul Bocuse avait publié « La Cuisine du Marché » qui invitait à respecter la saison des produits. Sauf qu’aujourd’hui au marché, on trouve de tout… tout le temps ! Et que ça ne choque apparemment pas grand monde puisque de tout l’été, je n’ai vu que le journaliste Philippe Toinard s’insurger, pour la coquille Saint-Jacques, lui aussi !
Quant à moi, s’il me faut être absolument consensuelle avec cette cuisine à contre-chant (et à contre champs), alors ce ne sera que pour ramener ma fraise… en toute saison !