La médiatisation du design et le statut même du designer (qui n'est pas considéré comme un artiste "en soi", et ce avec raison) sont assez différents de leurs équivalents en bande-dessinée. On pourrait dire que ce domaine bien plus large que celui de la BD ne s'affiche pas publiquement: rares sont les tribunes ouvertes où ses acteurs débattent ou s'invectivent. En "coulisse", c'est évidemment bien différent, et même si notre show-man national fait les pages grasses de Voici en se mariant en kilt par 10°, il faut reconnaître qu'il reste encore une part assez importante de pudeur et de distance entre les designers et le public.
Concernant la bande-dessinée, c'est une autre histoire. (...)
Cette différence repose sur plusieurs éléments:
1 - Les lecteurs les plus sagaces avaient noté une "people"-isation de ce domaine dans des articles de presse spécialisée commençant à lorgner vers une certaine mondanité, photos à l'appui.
2 - L'apparition de personnalités très fortes chez les auteurs, s'affranchissant de l'imbécile modestie de la bande-dessinée, construisant des discours plus aboutis, mais aussi usant de la communication plus savamment que leurs ainés. Ils sont aujourd'hui reconnus par une presse généraliste qui ne se renifle plus les doigts après avoir ouvert une BD. Ces auteurs ont aujourd'hui un impact médiatique rarement vu dans le passé.
3 - La popularisation des blogs et des billets d'humeurs des auteurs de BD. Pour certains d'entre eux, c'est encore un peu le choc de deux mondes. Par essence, un auteur de BD est généralement un indépendant voire un solitaire. La confrontation directe avec des réactions non hiérarchisées de la part d'un public assez bigarré, où le cordial cohabite avec l'ordurier, peut provoquer des étincelles.
Les acteurs de la BD s'affichent donc de plus en plus et de différentes manières. Cela permet aux lecteurs de voir se dessiner des affinités, des groupes amicaux, professionnels, des connivences, des intérêts, mais aussi des luttes de clocher et des scandales aux enjeux souvent très limités.
En soi, l'existence de ces réseaux n'est pas une nouveauté. Ce n'est d'ailleurs pas plus criticable qu'ailleurs, tous les domaines fonctionnent sur ce principe. Le lecteur peut cependant être en droit de se poser des questions sur l'intérêt fondamental d'afficher cela en public. Quelle information cherche-t-on réellement à donner ?
Lorsque l'on parcourt les sites spécialisés dans la critique, les tribunes de presse ou les blogs personnels, quelle est l'information que l'on peut retirer des sautes d'humeur contre untel, des affichages d'amitié, ou des élucubrations relationnelles (un article de Romain Brethes pour le Point daté du 17 janvier 2008, intitulé "La nouvelle Mafia de la BD", en est un joli exemple. À noter que "mafia" est le prochain mot à être galvaudé après "fasciste", "décomplexé" et "chaos").
À qui tout cela s'adresse ? À qui s'adresse le bloggueur qui coupe ses commentaires tout en parlant de sa vie privée à tous ? À qui s'adresse le critique qui affirme que le lecteur de sa tribune n'est pas obligé de la lire ? À qui s'adresse le journaliste qui parle de "mafia" sans donner une once d'éléments à charge ?
D'ailleurs à qui s'adresse cet article finalement ?
Damned. Piégé.