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Pour une définition ontologique de l'homme (1)

Publié le 13 octobre 2011 par Feuilly

Dans un précédent billet, la question s’est posée de savoir quel était le statut de l’animal. En effet, un commentateur s’était ainsi exprimé :

« Vous dites à propos de l’animal : « Il aime, il souffre, puis il meurt». Jusqu’à présent je pensais que les sentiments (amour, haine, souffrance…) nous distinguaient de l’animal. »

Tout d’abord, avant d’aller plus loin, je tiens à préciser que dans mon texte je n’avais pas parlé de haine chez l’animal, simplement d’amour et de souffrance, mais ces deux mots-là, j’y tiens, je les revendique et je ne les renie pas.

Ceci étant dit, la question qui se pose est donc de savoir si les animaux peuvent avoir des sentiments comme les hommes ou si au contraire ils en sont démunis. L’air de rien, une réflexion sur ce thème risque de nous entraîner très loin car ce qui est ici en jeu, c’est la définition de l’homme, ni plus ni moins. Ce dernier a bien conscience, quelque part, d’être un animal (il n’est ni une pierre ni une plante), mais il a toujours revendiqué à juste titre un statut particulier. Reste à savoir si ce statut privilégié repose sur une différence de degrés (l’animal ne serait dénué ni d’intelligence ni de sensibilité, mais l’être humain en serait plus généreusement pourvu) ou si au contraire la différence est plus fondamentale (l’animal n’éprouverait ni amour ni sentiment, caractéristiques qui seraient l’apanage de l’homme).

Il est clair que la manière dont l’homme voit l’animal a évolué dans le temps. Si nous remontons aux origines, nous retrouvons les textes sacrés. Selon la Genèse, Dieu a d’abord créé les animaux, puis l’homme (à son image), dont la mission était de commander aux premiers.

Dieu dit: Que les eaux produisent en abondance des animaux vivants, et que des oiseaux volent sur la terre vers l'étendue du ciel.

Dieu créa les grands poissons et tous les animaux vivants qui se meuvent, et que les eaux produisirent

en abondance selon leur espèce; il créa aussi tout oiseau ailé selon son espèce. Dieu vit que cela était bon.

Dieu les bénit, en disant: Soyez féconds, multipliez, et remplissez les eaux des mers; et que les oiseaux multiplient sur la terre.

 Ainsi, il y eut un soir, et il y eut un matin: ce fut le cinquième jour.

Dieu dit: Que la terre produise des animaux vivants selon leur espèce, du bétail, des reptiles et des animaux terrestres, selon leur espèce. Et cela fut ainsi.

Dieu fit les animaux de la terre selon leur espèce, le bétail selon son espèce, et tous les reptiles de la terre selon leur espèce. Dieu vit que cela était bon.

Puis Dieu dit: Faisons l'homme à notre image, selon notre ressemblance, et qu'il domine sur les poissons de la mer, sur les oiseaux du ciel, sur le bétail, sur toute la terre, et sur tous les reptiles qui rampent sur la terre.

Dieu créa l'homme à son image, il le créa à l'image de Dieu, il créa l'homme et la femme.

Dieu les bénit, et Dieu leur dit: Soyez féconds, multipliez, remplissez la terre, et l'assujettissez; et dominez sur les poissons de la mer, sur les oiseaux du ciel, et sur tout animal qui se meut sur la terre.

Fondamentalement, l’homme est donc différent des animaux. D’abord parce qu’il ressemble à Dieu et ensuite parce qu’il a pour mission de dominer le monde animal. La différence est donc à la fois de degré (il est le maître et l’animal est l’esclave) et de nature (il est d’essence quasi divine). Il est clair que c’est son statut particulier qui lui donne le droit de dominer et d’être au sommet de la hiérarchie. Il n’est donc pas seulement un animal supérieur, il est avant tout d’essence différente.

Notons que lorsqu’il est au paradis terrestre, l’homme, qui est à l’image de Dieu, est immortel. Pourtant, à ce moment, il n’a pas toute la connaissance, laquelle est l’apanage de la divinité :   « tu ne mangeras pas de l'arbre de la connaissance du bien et du mal, car le jour où tu en mangeras, tu mourras. » L’homme est donc de la même nature que Dieu (immortel et à son image) mais il se trouve dans un degré inférieur de la hiérarchie (il ne peut pas tout savoir).

Plus tard, quand Eve a été séduite par le  serpent (symbole phallique ?) et qu’elle a mangé la pomme défendue et en a donné à Adam, tout s’écroule. Le couple prend alors conscience de sa nudité (en quoi il se  différencie une nouvelle fois des animaux), autrement dit  de sa sexualité. La connaissance qu’il possède maintenant, c’est celle du mystère de la création (fécondation), ce qui le rend en effet semblable à Dieu. Celui-ci s’en irrite fort et chasse le couple du paradis. Les propos qu’il tient ne sont pas anodins :

Il dit à la femme: J'augmenterai la souffrance de tes grossesses, tu enfanteras avec douleur, et tes désirs se porteront vers ton mari, mais il dominera sur toi.

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C’est donc bien par cette possibilité de créer (qu’elle vient de se donner en enfreignant l’interdit divin) qu’elle est punie. Certes, elle pourra procréer et donner elle aussi la vie, mais cela se fera dans la douleur.

Sur la ressemblance qui existe maintenant entre l’homme et Dieu, le texte biblique est très clair :

L'Éternel Dieu dit: Voici, l'homme est devenu comme l'un de nous, pour la connaissance du bien et du mal. Empêchons-le maintenant d'avancer sa main, de prendre de l'arbre de vie, d'en manger, et de vivre éternellement.

Dieu chasse donc l’homme du paradis, l’oblige à travailler et surtout lui enlève son immortalité, sans quoi il serait maintenant tout à fait semblable à son créateur.

Revenons maintenant à notre propos initial sur le statut de l’animal. Selon la Genèse, l’homme et l’animal sont donc de nature fondamentalement différente. D’essence divine, possédant maintenant la connaissance, l’homme est un dieu, même si c’est un dieu déchu et mortel. Il a donc tous les droits sur les animaux, qui, étant d’une nature autre, ne peuvent évidemment avoir aucune des caractéristiques de l’homme. On refusera donc à l’animal tout sentiment, tout désir, toute souffrance. L’homme est presqu’un Dieu, l’animal est plutôt un sorte d’objet vivant.

Cette conception biblique va bien entendu être véhiculée par le Christianisme et elle va donc influencer considérablement notre culture.

Remarquons que la position biblique est rassurante. L’homme est le roi de l’univers et tout  a été créé pour lui. Ainsi, par exemple, la terre est au centre du monde (c’est le soleil qui tourne autour d’elle) et elle n’a été faite que pour l’homme. De plus, ce dernier a reçu pour mission de dominer la nature et de régner sur les animaux. Il a donc un statut tout à fait à part dans la création. Entre lui et l’animal, il y a un gouffre infranchissable.

Pendant tout le Moyen-âge et finalement jusqu’à l’époque des premières machines mécaniques, l’animal va plus ou moins conserver ce statut. C’est qu’il est d’abord utilitaire, c’est sa première fonction.  Le cheval ou le bœuf servent à tirer la charrue, le chat à chasser les souris, le chien à garder la maison ou les troupeaux. Il est aussi un outil indispensable pour la chasse. A la guerre, c’est le cheval qui est irremplaçable. C’est le fameux destrier (le palefroi, lui, est un cheval de parade tandis que le « cabalus » est plutôt une  mauvaise monture). Les bœufs, les moutons et les cochons servent comme aujourd’hui d’animaux de boucherie. Par tous ces exemples, on voit donc bien que l’animal est avant tout utilitaire. Il sert à répondre à nos besoins, un peu comme les plantes, en quelque sorte, qui elles aussi servent à nous nourrir ou à nous guérir si elles sont médicinales. Dans un tel contexte, l’homme va pleinement exercer son droit sur l’animal (ce droit qu’il tient de Dieu, ne l’oublions pas). Cet animal il va falloir le dominer, afin qu’il nous obéisse et nous serve au mieux.  Impossible d’avoir des sentiments pour cette « machine utilitaire ». A la limite, on pourrait avoir de la colère à son égard si elle se montre rétive ou peu obéissante, mais c’est tout.

Certains animaux sont même considérés comme néfastes dans l’imaginaire collectif. C’est le cas du chat, part exemple, qui est bien utile, certes, pour chasser les souris dans les réserves de blé, mais qui, selon l’Eglise, est lié avec le diable. C’est un être maléfique et le pape Innocent VIII, au XV° siècle, ira jusqu’à encourager le sacrifice de chats lors des fêtes populaires. On les brûlait comme on brûlait les sorcières. A l’opposé de l’homme qui est à l’image de Dieu et qui a une âme immortelle, le chat renvoie à l’Enfer, surtout s’il est noir comme la nuit. Entre l’être humain et cet envoyé de Satan, il faut dresser une barrière infranchissable, celle du feu qui purifie et qui détruit le mal.

Utilitaire ou néfaste, l’animal ne va pas recevoir beaucoup d’affection de l’homme, qui a trop besoin de lui pour sa survie pour aller s’attendrir sur cet être inférieur. Dès lors, on n’imaginerait même pas que l’animal, de son côté, puisse lui aussi avoir un semblant de sentiments.  On peut même le battre, il reste insensible.

Cette dichotomie entre l’homme et l’animal est répétée à l’infini car au fond d’eux même les hommes savent qu’ils sont comme les animaux,  des êtres de chair qui vivent, souffrent, se reproduisent et meurent. Il faut donc à tout prix dresser une barrière infranchissable entre ces deux catégories, sinon l’être humain n’est plus rien.

Descartes, par exemple, constate que seul l’homme peut s’exprimer par la parole. Les animaux ne parlant pas, c’est qu’ils ne pensent pas non plus. Ce ne sont pas  des « choses qui pensent » mais des «choses étendues», sans plus. Dès lors, l’animal n’est pas non plus sensible ou, s’il ressent quelque chose, c’est par un simple processus mécanique. Si on frappe un animal et qu’il tressaille, recule et crie, ce n’est pas parce qu’il ressent quoi que ce soit, mais par une réaction mécanique (comme les aiguilles d’une montre que l’on a remontées ou comme un aimant qui attire naturellement le fer). L’homme se rapproche de lui par son corps, mais il s’en distingue par son esprit, qui est d’essence divine. L’animal n’étant à la limite qu’une chose, il ne peut avoir d’esprit. Il n’a pas conscience d’être lui-même, il ne parle pas, il n’apprend rien, ne connaît rien et s’il ressent jamais quelque chose, c’est comme un automate.

Pierre Bayle, dans son Dictionnaire historique et critique (1695-1697) prétendra au contraire, contre Descartes, qu’on ne peut établir aucune différence ontologique entre l’home et l’animal. De plus, les actions des animaux sont tellement complexes qu’elles ne peuvent s’expliquer de façon purement mécanique. Soit ils ont une âme spirituelle, comme les humains, soit ils ont une âme matérielle, laquelle leur permet cependant de penser. En d’autres termes, soit les animaux ont une âme, soit ils n’en ont pas, mais alors les humains non plus.

Là où Descartes assimilait la sensibilité chez l’animal à un simple mouvement physique (ce qui lui permettait de dire que dans le fond l’animal n’était pas sensible), Bayle au contraire estime que les animaux sont sensibles et dès lors il en déduit qu’ils sont également doués de conscience et de raison.

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Pierre Bayle


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