Jour 4 : Le Jour où la vodka coula

Publié le 12 octobre 2011 par Diana
Jour 4 : Le Jour où la vodka coulaDans l’avion, Diana m’annonça la couleur : un mongol sur deux a un souci avec l’alcool. En l’occurrence un problème avec la vodka, élixir fort apprécié dans cette contrée lointaine à la notre. Hum, problème d’alcool. Une conséquence néfaste : la santé, normal. Une deuxième : la violence. Intéressant. Ce matin là, j’étais encore loin d’imaginer ce qui se passerait en milieu d’après-midi. 
Encore un réveil sous tente. Le dos en vrac. Les lingettes. Le petit-déjeuner. Stop. Détails. Un petit-déjeuner des plus agréable avec ce beau temps qui persiste depuis notre départ d’U.B. Le soleil est là. Il fait bon. Je suis en polo manche courte. Le lac Ogii pour paysage mais surtout tout un tas de chèvres et de moutons qui erre autour de notre campement. Sympa la carte postal. Bon, un moment je commence un peu à flipper parce qu’il y a des boucs qui tapent du pied tout en me fixant. Ca veut dire quoi ? Diana ? Elle est où ? Je fais quoi ? Tu m’entends ? Ok, elle a décidé de ne pas m’entendre. Je suis en train de me faire mettre un coup de pression par un bouc. Cette honte ! Il croit que je ne vais pas lui tenir être, hein ? Je détourne finalement le regard tout en en restant sur mes gardes. Je continue à boire mon café au lait tout en regardant le lac Ogii en espérant que la bête passera son chemin.
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- On y va ! dit alors Chimgee.
On s’engouffre dans le 4x4 et l’on reprend la route. Ce soir, nous passerons notre première nuit sous yourte. Les kilomètres défilent comme le paysage. Nous traversons des rivières en passant par les endroits où notre 4x4 russe a pieds enfin où il a « roues ». L’eau se projette sur les vitres. On s’arrête pour se rafraichir. On se sent tout puissant au volant d’un 4x4 enfin en tant que passager. Rien ne nous arrête. Jack stoppe le véhicule après l’une des traversées. On vient de crever. Je rectifie donc « presque rien ne nous arrête ». Alors que Jack aidé de Zorigoo change de roue, je flâne dans les alentours avec Diana. On en profite aussi pour aller aux toilettes au milieu de ce large paysage. Une fois la roue changée, nous décidons de nous arrêter dans un village non loin de là pour la faire réparer. Direction : Bat-Tsengele. Mais avant, on déjeune !    Bat-Tsengele. Il fait partie de ces villages de deux mille à trois mille habitants. Pas d’eau courante mais il y a l’électricité. De ces villages comme on en trouve pas mal en Mongolie. Il est de ces villages aux toits de maisons colorés et aux routes de terre. Jack se renseigne auprès d’un villageois qui nous guide vers le mécano du coin. La roue est en train d’être réparée. Diana prend des photos et nous sentons l’envie d’en voir plus. Avec Chimgee, nous nous promenons dans ce village aux demeures vétustes. On achète des pommes de pins. Nous nous arrêtons dans un parc au milieu du village où s’érige la statue d’un lutteur. Vous savez ces types qui luttent durant neuf rounds en portant un gilet (« caraco ») et une grosse culotte (plutôt slip, ce sont des hommes), le gagnant imitant le vol d’un aigle. Bat-Tsengele a donc son lutteur porté en héro. Si ce bonhomme a sa statue, imaginez l’importance de cette discipline chez les mongols.     Alors qu’on décide de retourner à notre 4x4, nous sommes interpellés par trois types en estafette. Chimgee les ignore. Elle leur baragouine deux, trois phrases sans les regarder tout en continuant à cassant ses graines de pins sous la dent. On avance. Les trois gaillards n’en démordent pas. Ils amorcent un demi tour et roulent jusqu’à nous. L’estafette me sépare de l’interprète et Diana. Elle s’arrête, le passager avant me salue tout en tendant sa main pour que je lui serre. Appelons-le « Noir ». Ils sont tous les trois assis sur les places avant du véhicule, souriants et tout et tout. Sur le moment, je me dis que nous ne sommes pas ici pour faire affront à qui que ce soit. Je lui serre donc la main. Une main qu’il broie. Ok, très bien mais il en faut plus pour me tordre de douleur. Surtout une main qu’il ne veut plus lâcher. Ma main. Ok, sang froid. Ne nous énervons pas. Ces trois jeunes gens en pleine force de l’âge (une bonne trentaine d’années) sont des locaux qui n’ont peut-être jamais vu d’étranger. Ils veulent peut-être juste savoir d’où je viens. On pense à tout plein de choses dans ces moments-là pour se rassurer. On serait dans mon vieux Seine Saint Denis, ma main, elle serait restée dans ma poche ou serait partie dans le visage du mec en face de moi, disons-le. « Noir » me bredouille quelques mots incompréhensibles pour le français que je suis et qui ne maitrise pas le mongol. Je lui dis venir de France. 
Paris. Il semble connaître et s’esclaffe. Maintenant, lâche-moi. Ok, tu ne veux toujours pas. Continuons ainsi alors. Chimgee et Diana me rejoignent. Cette dernière prend peur pour… son appareil photo ! Je la vois bien la Diana qui porte sa main à l’appareil qui se trouve autour de mon cou. J’hallucine ! Bon, elle prend tout de même peur en voyant que le gars ne veut pas me lâcher. Il n’empêche qu’elle veut récupérer son appareil photo et c’est chose faite. Une fois rassurée, je la vois qui commence à évaluer les risques. Chimgee échange avec « Noir » qui ne veut pas lâcher l’affaire, en l’occurrence moi. Ce qu’il y a de frustrant avec une langue qu’on ne maitrise pas du tout (mais alors pas du tout), c’est le fait de ne rien comprendre. Sans doute dépassée par la situation, notre interprète ignore notre question mainte fois répétée : qu’est-ce qu’il dit ? La parano envahit. Il y a une chose que je remarque d’emblée c’est que « Noir » est bourré. Il est saoule, complètement torché et ses potes ne sont pas mieux. Il me fait signe pour monter à l’arrière puis il me prend le bras et me fait ce que l’on appelle une brûlure indienne. Euh… il fait quoi là ? Il essaie de me faire mal ? Interrogations que je me suis faites. Diana prend peur et tente d’arracher le type de mon bras ou mon bras du type. Chimgee s’y met également. Il semblerait que « Noir » et ses potes veulent m’emmener. Ok. Il semblerait donc que j’ai un fort pouvoir d’attraction chez les mongols, j’aurais préféré ce dernier mot dactylographié au féminin. La plaisanterie ayant assez durée, j’arrache mon bras de l’emprise qui me maintenait à « Noir ». Au même moment, Jack et Zorigoo au volant du 4x4 débarquent. Alors qu’on pense s’arracher de Bat-Tsengele après être montés dans le 4x4, Jack coupe soudain le contact après quelques échanges avec nos protagonistes. On n’en a pas terminé, punaise… Du moins, les trois mongols éméchés n’en ont pas fini avec nous. 
Le chauffeur parle avec Jack qui l’ignore. Celui qui était assit au milieu de l’estafette subtilise alors notre carnet de route (avec l’ensemble des plans). Ce dernier la donne alors à « Noir » qui va jusqu’à la portière de Zorigoo. Il l’ouvre et échange quelques mots avec notre cuisto. Notre interprète reste toujours aussi muette face à nos interrogations. Les choses s’enveniment lorsque « Noir » frappe le visage de Zorigoo avec le carnet. Je commence à me lever de la banquette prêt à en découdre et reste stoïque devant le calme dont font preuve Jack et Zorigoo. Je m’attendais à ce que les choses tournent court et puis non. Je me rassois. Le chauffeur (pas le notre) va alors à son estafette et revient avec une bouteille de vodka non entamée. Il demande à Jack un verre. Ce dernier dévisse alors le cache ampoule avant du 4x4. Une sorte de grande coupelle plutôt profonde. Jack souffle à l’intérieur pour en expulser la poussière et la donne au mongol qui la prend tout en la remplissant de sa vodka. Il tend la coupelle à Jack qui la refuse. Je comprends même avec la barrière de la langue qu’il lui explique qu’il doit conduire. Le mongol ne s’offusque pas et fait le tour du 4x4 pour nous rejoindre. Il s’assoit alors sur la banquette face à la notre et me tend la coupelle remplie à ras bord. Chimgee m’annonce la couleur. Il ne s’en ira pas tant que je ne boirais pas. « Noir » se radine ainsi que le troisième. Il lui redonne même notre carnet avec les plans des routes. Je prends la coupelle et en boit une petite gorgée. Je n’avais pas bu de vodka depuis… 2007. Un bail. Mes 26 ans, je ne m’en souviens plus. Je bois une autre gorgée. Le mongol insiste pour que je bois cul sec. Ok. Cul sec alors. Je retourne la coupelle pour leur montrer qu’elle est vide et la redonne. Les trois mongols apprécient la descente. « Noir » se frappe le torse avec force en scandant des « Gengis Khan ». Je pense que ce type est atteint. La coupelle me revient à nouveau pleine. Chimgee se propose à ma place. Elle trempe ses lèvres dans la coupelle. Sympa. On ne va pas aller bien loin comme ça. Je lui dis qu’il serait bien de leur faire comprendre qu’on s’en va après. Je prends la coupelle en boit une gorgée, ne me sentant pas la force pour un nouveau cul sec. Il fait chaud dehors, un peu plus dans le 4x4 et ma température corporelle dépasse celle de notre véhicule. Diana me prends la coupelle des mains alors que je vois Zorigoo aller dans une boutique proche. Diana boit deux petites gorgées. Je décide d’en finir. Nouveau cul sec. Chimgee me dit que les mongols trouvent que j’assure. Ils s’attendaient à ce que je tousse. Les alcools blancs, on en a tout plein aussi en France. Je fais comprendre au chauffeur mongol que ça va aller. Il remplit à nouveau la coupelle et me la tend. Bien ! Zorigoo revient avec un bouteille de vodka qu’il donne à « Noir » qui la prend. Je fais comprendre à nos rançonneurs de vodka que c’est le dernier et ensuite on reprend la route. Je bois cul sec, donne la coupelle à Jack et regarde la bouteille de notre mongol. La moitié de la bouteille est vide (ou pleine, je préfère dire vide). Ah ouais, quand même…, me fis-je. Je commence à comprendre pourquoi j’ai si chaud. Je serre la main au chauffeur mongol ainsi qu’à « Noir » qui scande un dernier « Gengis Khan » et l’on prend la route sous le soleil de plomb qui s’abat sur nous. La suite du chemin est comment dire… ? Reposant. Je n’en vois pas grand-chose. Je suis bien en faite. C’est cool.Nous nous arrêtons en chemin non loin de nomades pour admirer un site funéraire composé de stèles qui s’érigent vers le ciel. Notre interprète ainsi que Jack nous expliquent que les gravures (des cerfs en majorité) et les tracés sur la pierre représentent l’âme des défunts. En reprenant la route, on nous apprend que ne dormirons finalement pas sous yourte ce soir. Le pneu crevé, l’histoire avec les trois bourrés, nous avions pris du retard. Jack nous trouve un coin tranquille au milieu de sapins. On dîne et pour dessert nous avons : une bouteille de vodka ! Jack et Zorigoo sont de sacrés comiques. Comme pour conjurer le sort, ils en ont acheté une. Petit oubli. Avant d’atterrir au milieu de ces sapins, nous nous étions arrêtés dans une « aire d’autoroute mongole ». Imaginez vous : quelques maisons en bois qui cachent des boutiques, un mécano, non loin de là deux stations services et une unique route goudronnée qui traverse le tout. Dans l’une de ces boutiques, Jack et Zorigoo y ont fait quelques emplettes. Retour dans notre camp. Je propose qu’on évite de boire la vodka sec cette fois-ci (je ne m’en sens pas la force), et qu’elle serait bien meilleure mélangé avec la fameuse compote de cerises dont ils raffolent. Cocktail maison en somme.  - Cocktails ?
Tout le monde est partant.
- Cocktails, répète Zorigoo en riant.
Alors on boit et terminons la bouteille. Nous scrutons les étoiles toujours aussi étincelantes (voir même filante) en silence. Il est l’heure d’aller se coucher. Une autre journée nous attend demain… mais quel jour sommes-nous ?
Illitch Dillinger aka Hirka