Barney, un métis incarné avec beaucoup de charme par Thomas Millian, organise un hold up avec une bande moitié américaine, moitié mexicaine. Au moment du partage, les Américains, laissant ressortir leurs instincts racistes, exécutent les Mexicains et s’enfuient à travers le désert. Barney s’en sort miraculeusement. Il est recueilli par deux indiens qui rappellent étonnamment celui de Dead Man de Jim Jarmush, et qui acceptent de l’aider à se venger à condition qu’il leur raconte ce qu’il a vu « de l’autre côté », lui qui a été si proche de la mort. Entre temps, la bande américaine arrive dans un village à l’ambiance très étrange, ambiance que l’on retrouvera dans L’homme des hautes plaines de Clint Eastwood, une ambiance de corruption et de dépravation assez impressionnante. A partir de là, tout le film bascule. L’intrigue brasse nombre d’éléments classiques du western italien en les décalant systématiquement, mêle des réminiscences baroques et fantastiques, tant sur le fond que dans le style.
Barney sera ainsi perçu comme un « mort vivant » par Hoaks, le chef de ses ex-associés, on trouve un personnage de pasteur dépravé vivant avec une jeune femme une relation fortement teintée de sado masochisme, un gros rancher mexicain entouré d’un troupe de jeunes hommes tous vêtus de cuir noir qui ne dépailleraient pas un film de Pier Paolo Pasolini et des situations que l’on verrait bien dans les films de la série Allan Edgar Poe de Roger Corman (l’incendie final, la fin du pasteur…).
Question de style, Tire encore si tu peux surprend tout d’abord par ses premières séquences. Le générique, porté par la musique superbe de Ivan Vandor, alterne les plans d’inspiration fantastique de Barney s’extirpant de la fosse ou l’ont jeté ses ex-associés puis étant soigné par les deux indiens philosophes, avec des images de l’exécution, montées très rapidement (c’est carrément du Eisenstein !), contrastant par leur lumière blanche de désert à midi, avec celles du « ressuscité », nocturnes et bleutées.
Gulio Questi, le réalisateur, n’a guère fait de films, et celui-ci est son unique western. Il s’en donne à cœur joie, même si certaines scènes paraîtront un peu pâles (l’attaque du début), il se rattrape par un montage très original, jouant sur le temps (la construction en flash back du début, les ellipses radicales) et l’espace (l’exécution des Américains, la mise à mort du chef). Il excelle surtout dans l’établissement de son climat baroque, à base de jeu sur les couleurs (les ambiances du saloon, les costumes noirs et blancs des « ragazzi » et de compositions étonnantes, dans un esprit très proche du surréalisme ou de Bunuel (l’arrivée des truands américains dans la ville est typique d’étrangeté). Sans multiplier les exemples, Tire encore si tu peux est un film hypnotique, un peu déstabilisant mais toujours surprenant.
Question de fond, enfin, le film est assez virulent et, comme Le grand silence, surprendra par son ton acide, un peu cynique et un peu amoral, aux antipodes de la « morale » des westerns américains. Ici pas de fin heureuse, ici, le massacre de innocents se déroule sous les yeux impuissants de l’anti-héros dégoûté. Ce n’est pourtant pas là que le film est le plus original, les meilleurs westerns italiens (Leone, Damiani, Corbucci…) se sont toujours fait une spécialité de transposer dans cet univers si spécial des préoccupations politiques et sociales très européennes et souvent très « à gauche » (exploitation du Tiers-Monde à travers les personnages de Mexicains, dénonciation du gros capitalisme à travers les américains, réflexions sur la guerre du Vietnam, critique de l’église…). Tire encore si tu peux ne déroge pas à la règle et Barney est un parfait héros libertaire, leader à la Che Guevara d’une bande de Péons trahis par l’Occident.
Cher lecteur internaute, si ces quelques lignes ont su t’intriguer, te séduire, te donner l’envie, à toi de partir à la recherche de Barney et de découvrir ce film… si tu peux !