Bien que Greenspan soit, sans doute, un libéral, sa manière de gérer la politique monétaire nord-américaine a été plus proche des idées de Keynes que celles de, par exemple, Milton Friedman.
Par Francisco Cabrillo (*)
Bien que Greenspan soit, sans doute, un libéral, sa manière de gérer la politique monétaire nord-américaine a été plus proche des idées de Keynes que celles de, par exemple, Milton Friedman. Et il le fut dans le sens qu’il appliqua une politique discrétionnaire en fonction de la conjoncture de chaque moment, confiant dans le fait qu’un gestionnaire intelligent – c’est-à-dire lui-même – pourrait obtenir les meilleurs résultats de la manipulation des variables monétaires sans règles établies préalablement. Certes, quelques crises furent évitées grâce à cette stratégie. Mais le résultat final fut, comme on l’a dit de nombreuses fois, une politique trop expansive pendant trop longtemps, qui créa de fortes distorsions dans les marchés financiers qui finirent comme tout le monde sait.
Notre personnage aimait enrober sa politique dans un message qui, souvent, était peu compréhensible. Qu’est-ce qu’a voulu dire Greenspan ? C’était la question que se posait beaucoup de gens après nombre de ses interventions publiques sur la situation de l’économie nord-américaine et la stratégie de la Réserve fédérale. Sûrement, à certaines moments, il cherchait à propos cette obscurité. Mais il semble que dans celle-ci il y avait autre chose, car le brillant économiste n’était pas très clair non plus dans d’autres circonstances. Et l’on connaît l’anecdote qui raconte comment il dût faire par trois fois sa déclaration à celle qui est aujourd’hui sa femme, non parce que celle-ci la rejetait au début, mais, simplement, parce que les deux premières fois, la future Madame Greenspan n’avait pas compris ce qu’il disait.
Mais avant d’occuper la charge qui le rendra célèbre, Greenspan eût une vie aussi intéressante que complexe. Né à New York en 1926, il étudia l’économie dans les universités de New York et de Columbia ; activité qu’il partagea pendant un certain temps avec la pratique du saxophone au sein d’un orchestre dans un club de Times Square. De fait, avec tant de succès qu’il pensa sérieusement devenir musicien professionnel. Par ailleurs, durant ces années, il fit partie du groupe de jeunes libéraux constitué autour d’Ayn rand, la romancière et essayiste russo-américaine, auteur d’oeuvres à succès comme la Source vive ou La grève. À l’époque, Greenspan n’était pas un homme particulièrement optimiste. Et le surnom qu’il reçut au sein de ce cercle ne fût rien moins que « pompes funèbres ».
Il semble que, un jour, Greenspan commença à méditer sur lui-même. Et l’on sait bien que ce genre de chose peut être assez compliqué et avoir des effets imprévisibles. De fait, le jeune économiste, philosophe et saxophoniste arriva à la conclusion qu’il ne savait pas s’il existait ou non. Y avait-il une preuve quelconque de ce qu’il était réellement là et n’était pas, par exemple, une création de l’esprit des autres ?
Questions sérieuses, sans aucun doute, qui n’avaient pas de réponse aisées pour lui. Mais, à la fin, on ne sait pas trop bien comment ni pourquoi, il décida qu’Alan Greenspan était un être réel. « Les pompes funèbres existent ! » dit un jour à Ayn Rand Nathaniel Branden, qui pendant ces années partageait les rôles de secrétaire et d’amant de l’illustre écrivain.
Résolue, donc la dure question, le sujet tomba dans l’oubli pendant beaucoup de temps. Mais la dernière crise économique la remit à l’ordre du jour ; cette fois avec quelques nuances particulières. Et quelque mauvais esprit commenta : fichtre, si Greenspan avait décidé qu’il n’existait pas, il n’aurait jamais présidé la Réserve fédérale, et, si ça se trouve, on se serait épargné une crise. Pourquoi, diable, n’est-il pas arrivé à la conclusion contraire ?
Article originellement publié par Libre Mercado.
(*) Francisco Cabrillo Rodríguez, président du Conseil économique et social de la communauté de Madrid, est professeur d’économie appliquée spécialisé dans la politique économique régionale.