La « Faillite » de la Libye de Mouammar KADHADI ou celle d’une Afrique se voulant « libre » ?

Publié le 12 octobre 2011 par Rm Communication

Par PATRICK MBEKO

Comment en sommes-nous arrivés là? Près de soixante mille morts, des milliers de civils blessés, des infrastructures complètement pulvérisées, un pays à la totale dérive. L’OTAN a détruit en moins de six mois ce que Kadhafi n’a pu détruire en 42 ans de règne. Tout ça, nous disent les « grandes démocraties » occidentales, pour « protéger le peuple libyen » du grand « démon Kadhafi ». Quelle juste cause? L’originalité de la démarche « noble » occidentale a consisté à libérer les Libyen en les bombardant sans cesse à l’uranium appauvri? Comme l’a écrit le blogueur « polémiste décomplexé » Allain Jules, « envoyer des pyromanes pour éteindre un incendie, brûler la forêt pour sauver les arbres, bombarder la population pour épargner des civils, lancer des campagnes de terreur au nom du combat contre le terrorisme, promouvoir la démocratie en soutenant des dictateurs, des monarchies, des terroristes et autres voyous en tout genre… la logique des dirigeants occidentaux est imparable. » Une logique qui échappe à toutes les règles de la logique.

D’aucuns se rappelleront aussi  qu’afin de justifier l’agression de l’OTAN et le bombardement de la Serbie et du Kosovo, il fallait prouver que Milosevic avait fait massacrer les musulmans du Kosovo. En mai 1999, le secrétaire à la défense William S. Cohen déclarait : « Nous constatons que près de 100.000 hommes en âge de porter les armes ont disparu. Ils ont sans doute été assassinés ». Quatre mois plus tard, de retour du Kosovo d’une équipe de spécialistes de l’Institut anatomique de Carthagène, leur directeur déclara : « Ils commencèrent par nous annoncer 4.000 morts, puis 22.000, et maintenant ils parlent de 11.000. Je me demande quel sera le chiffre réel… » Le résultat est bien différent. Un responsable de l’OTAN de confier à un enquêteur américain sous couvert de l’anonymat : « Quand nous savons que les Serbes l’ont fait, nous disons que les Serbes l’ont fait. Quand nous ne savons pas qui l’a fait, nous disons que les Serbes l’ont fait. Et quand nous savons que les Serbes ne l’ont pas fait, nous disons que nous ne savons pas qui l’a fait. » Ted Galen Carpenter, expert du Cato Institute, basé à Washington, souligne : « Ceci n’est pas précisément un génocide. Les chiffres erronés faisaient partie d’une campagne de propagande de l’OTAN, et très réussie. »

Et pourtant, la Serbie a subi les foudres de l’OTAN. Le 22 mars, à la veille de l’intervention occidentale, le premier ministre britannique Tony Blair déclarait, sans sourciller, devant les  parlementaires britanniques : « Nous devons agir pour sauver des milliers d’hommes, femmes et enfants innocents d’une catastrophe humanitaire, de la mort, de la barbarie et du nettoyage ethnique par une dictature barbare. » L’histoire semble s’être répétée en Libye. Nous savons aujourd’hui que le Guide libyen n’a pas massacré son peuple. La rumeur a été lancée par une nébuleuse « ONG » basée à Londres. Les 6000 morts imaginaires rapportés par les médias  occidentaux reposent sur la seule déclaration d’un certain Ali Zeidan, semble-t-il, représentant de la Ligue libyenne des Droits de l’Homme (LLDH). Cette organisation a été montée de toute pièce avec l’aide de Londres et d’une monarchie du golfe; et Ali Zeiden est un proche des terroristes du CNT. Ce Monsieur est donc juge et partie. Il a été rapporté que le 23 mars à Paris, devant les invités de marque conviés par Bernard Henri Levy, le ministre des Affaires étrangères officieux du gouvernement français − Nul n’ignore que l’appel de Bernard-Henri Lévy à Sarkozy, depuis Benghazi en révolte contre le Kadhafi, fut le prétexte avancé par le pouvoir français pour enclencher le processus de son entrée en guerre contre la Libye −, Monsieur Zeiden a promis concernant le pétrole : « Les contrats signés seront respectés », mais qu’un futur pouvoir « prendra en considération les nations qui nous ont aidés. » Voici le rôle de celui qui a vu ou cru voir Kadhafi massacrer six mille Libyens! C’est ainsi qu’on mène l’opinion publique en bateau.

Il est maintenant connu que toutes ces « révolutions » ont été préparées et menées de main de maître par l’empire américain. On sait maintenant que la plupart de ces blogueurs arabes, à la base du « printemps arabe » ont été formés par les Américains depuis 2008. Comme en Tunisie et en Egypte, il y a eu en Libye un appel sur Facebook, à des manifestations non violentes. Mais la situation a dégénéré et les prédictions de Gene Sharp (think Tank américain ayant participé à la formation des blogueurs arabes) ont été faussées. Parmi les composantes opposées au régime du guide libyen et faisant partie du CNT,  il y a le Front national pour le Salut de la Libye (FNSL). Le FNSL a été formé en 1981, au Soudan, par le colonel Jaafar Noumeiri, ancien président du Soudan, notoirement connu pour ses liens avec la CIA. Certaines sources avancent que le FNSL aurait été financé par l’Arabie Saoudite, les services secrets français et la CIA. Son dernier congrès a eu lieu aux USA, en 2007.

Selon le journaliste de la droite libérale italienne Franco Bechis, la révolte de Benghazi aurait été préparée depuis novembre 2010 par les services secrets français. Paris aurait invité Londres à se joindre à l’aventure et tout aurait été repris en main par Washington qui a imposé ses propres objectifs (contre-révolution dans le monde arabe et débarquement de l’Africom sur le continent noir). Le plus magnifique dans cette guerre aux arrière-gouts de pétrole et de gaz naturel, l’alliance OTAN/Al-Qaïda. Le « libérateur » de Tripoli, Abdelhakim Beljhaj, plus connu sous le nom d’Abou Abdallah Al-Sadek, n’est pas un inconnu des services secrets américains, lesquels l’avaient d’ailleurs capturé en Malaisie en 2003− après s’être battu aux côtés d’Oussama Ben Laden en Afghanistan et en Iraq−, avant de le transférer dans l’une des prisons secrètes de la CIA à Bangkok. Puis il a été extradé vers la Libye où il a été torturé par des agents britanniques à la prison d’Abou Salim avant d’être libéré. Il est aujourd’hui le vrai maitre de Tripoli, grâce à l’OTAN et à Sarkozy. Pour ceux qui croient encore aux balivernes des dirigeants occidentaux sur la lutte contre le terrorisme, ils sont servis.

L’objectif de la guerre en Libye, préparée de longue date par les Services secrets français, américains et britanniques avec comme fallacieux prétexte la protection de civils, en réalité des rebelles armés, n’est pas seulement la prise du contrôle du pétrole et du gaz naturel de ce pays. Dans le viseur des envahisseurs, il y avait les Fonds Souverains Libyens; ces capitaux que l’État libyen a investis à l’étranger. Ils sont gérés par la Libyan Investment Authority (LIA) et sont estimés à plus de 150 milliards de dollars. Comme le fait observer Célestin Bedzigui du Global Democratic Project, basé aux USA, les États-Unis et leurs alliés « se sont approprié ces fonds, dans le plus grand acte de piraterie et de rapine de tous les temps », et ce, grâce à Mohamed Layas, le représentant même de la LIA, qui, comme le révèle un câble diplomatique publié par WikiLeaks, le 20 janvier, a informé l’ambassadeur américain à Tripoli que la LIA avait déposé 32 milliards de dollars dans des banques américaines. Cinq semaines plus tard, le 28 février, le Trésor Américain les a soi-disant «gelés». « Volés » est le bon mot. L’opération a été rondement menée.

L’agression contre la Libye est l’illustration du monde sans loi dans lequel les barbares de l’OTAN ont plongé l’humanité toute entière. On est dans un renouveau de la politique de la canonnière qu’on pratiquait à la fin du 19è siècle. Et qu’a fait l’Union africaine (UA) dans tout ça? Elle a choisi de se ranger aux côtés de l’OTAN en reconnaissant le Conseil National de Transition (CNT); le sous-traitant de l’OTAN en Libye. Pourtant, il ya peu, les résolutions de l’UA pour trouver une solution à la crise libyenne furent rejetées avec mépris par l’OTAN. Le mépris affiché à l’égard des dirigeants africains par l’Occident fut tel qu’on est aujourd’hui surpris de voir les mêmes dirigeants appuyer une nébuleuse sortie tout droit des entrailles d’une organisation terroriste comme l’OTAN. L’Afrique peut-elle se vanter d’être libre et d’avoir des dirigeants libres et responsables? Non. Ce sont des caniches que nous avons. C’est juste ahurissant! Un énorme scandale. Mais après tout, ces dirigeants ne sont-ils pas arrivés au pouvoir dans des conditions aussi calamiteuses que les dirigeants du CNT? Et dire que ces pantins, pour la plupart des criminels corrompus, à la tête de nos États, représentent des millions d’Africains!

L’Afrique est avant tout malade de ses élites politiques. Nous sommes mal barrés. Et ils ne sont pas seuls en plus : avec eux, certains intellectuels africains, qui tels des vrais perroquets des caraïbes, se font les relais de certains communiqués mensongers distillés par l’OTAN et les autres grands médias-mensonges occidentaux. Il faut les voir parler de « démocratie » ou des « 42 ans » de Kadhafi… C’est toujours le culte de la fatalité, de l’auto-flagellation et du complexe d’infériorité vis-à-vis du Blanc et de son système politico-économique. Ainsi, pour ces « diplômés médiocres », terriblement aliénés, l’OTAN a toutes les raisons du monde de s’immiscer dans les affaires internes libyennes; certains parmi eux n’hésitent même plus à faire appel aux mêmes forces de l’horreur qui opèrent en Libye, pour changer de régime dans leur propre pays! Ils sont convaincus que toutes les solutions aux problèmes du continent se trouvent en Occident. A leurs yeux, la résistance du guide libyen− loin de moi l’idée de faire de lui un « saint »− et de son peuple à l’impérialisme occidental est signe de mauvaise foi et d’irréalisme. Kadhafi et son peuple doivent céder à la recolonisation de leur pays par l’OTAN. Voilà ce que pensent tous ces « diplômés » africains qui se prétendent « intellectuels ». Un certain Marcus Boni Teiga, directeur de la rédaction de l’hebdomadaire Le Bénin aujourd’hui, a même affirmé que « la chute de Kadhafi est une bonne nouvelle pour l’Afrique. » Un tel individu est une honte pour le continent et devrait être lap… Ces types d’individus sont en réalité plus dangereux que les colons d’autres fois. Comme le fait observer un penseur camerounais, « il est temps de faire la distinction entre “tête pleine” c’est-à-dire les instruits et “tête bien faite” les véritables intellectuels. » C’est à ce niveau supérieur que doit s’établir la ligne de partage.

Une chose est certaine : ce n’est pas seulement Kadhafi que les apprentis sorciers de l’OTAN veulent tuer, c’est le symbole qu’il représente. C’est le rêve d’émancipation réelle des peuples africains qui est entrain d’être assassiné. C’est la mort de cette Afrique dont les richesses ont toujours nourri les convoitises de l’Occident. Qu’est-ce que Kadhafi n’a-t-il pas fait pour le continent noir? Il était connu que l’assaut sur les fonds libyens aura un impact particulièrement fort en Afrique. La « Libyan Arab African Investment Company » a effectué des investissements dans plus de 25 pays, dont 22 en Afrique sub-saharienne, et programmait de les augmenter dans les cinq prochaines années dans les secteurs minier, manufacturier, touristique et dans celui des télécommunications, où la Libye a contribué de manière décisive à la réalisation du premier satellite de télécommunications de la Rascom (Regional African Satellite Communications Organization), qui permet aux pays africains de se rendre indépendants des réseaux satellitaires occidentaux, et de réaliser des économies annuelles de quelque 400 millions de dollars. Beaucoup plus importants encore auraient été les investissements libyens dans la réalisation des trois organismes financiers lancés par l’Union africaine et qui auraient contribué à asseoir l’émancipation monétaire et financière du continent noir: la Banque africaine d’investissement, dont le siège est à Tripoli ; le Fonds monétaire africain, basé à Yaoundé (Cameroun) ; la Banque centrale africaine, installée à Abuja (Nigeria). Le développement de ces organismes devait permettre aux pays africains d’échapper au contrôle de la Banque mondiale et du Fonds monétaire international, tous deux instruments de domination néocoloniale, et devait marquer la fin du franc CFA, la monnaie que sont obligés d’utiliser 14 ex-colonies françaises. « Le gel des fonds libyens assène un coup très dur à tout le projet », note Célestin Bedzigui ci-avant cité. Notamment, si la Banque Centrale Africaine devait voir le jour, les dépôts au compte d’opération des réserves des pays de la zone CFA cesseront et les positions du Trésor Français en seraient fragilisées. L’hystérie interventionniste du Président Français, Nicolas Sarkozy, et du Premier ministre Britannique David Cameron dont le pays est lié inextricablement à la France s’explique donc, non pas par l’amour pour les populations libyennes qu’on prétend protéger, mais par les conséquences qu’auraient pour leurs pays l’émancipation monétaire des nations africaines, dont Mouammar Kadhafi était l’architecte et l’artisan.

Le second « crime » imputé à Kadhafi est qu’il est en passe de gagner la guerre de l’Eau et de se présenter comme un réel challenger du Grand Capital. La Libye et l’Egypte se partagent un véritable océan souterrain d’eau douce, le « Nubian Sandstone Aquifer » dont les réserves s’élèvent à 200 années de débit du Nil en haute saison. Depuis plus de 25 ans, Kadhafi a lancé le « GMMRP-Great Man-Made River Project », qui est un réseau de 4000 km de pipeline qui procure de l’eau à toutes les villes côtières libyennes, de Tripoli à Benghazi en passant par Syrte. Dans une deuxième phase, il est prévu que le GMMRP alimente un système d’irrigation en direction du Sud qui rendra vert le désert du Sahara et le Sahel, ouvrant ainsi des possibilités insoupçonnées de production agricole dans ces immenses régions qui pourraient devenir le grenier du monde au 22ème siècle, arrachant à l’Occident sa place de premier producteur de céréales et de produits alimentaires du monde. Kadhafi a engagé 85 milliards de dollars dans cette entreprise pharaonique sans en solliciter un seul sou de la Banque Mondiale − quel mauvais exemple !!!− et en défiant les « trois sœurs » − Veolia (autrefois Vivendi), Suez Ondeo (autrefois Générale des Eaux) and Saur – les compagnies françaises qui contrôlent 40% de la production mondiale de l’eau.

Quand on met côte à côte ce pari titanesque et sa contribution décisive dans la mise en place de RASCOM, ces cas font que pour le Grand Capital Occidental, Kadhafi est devenu l’homme à abattre à tout prix autant pour ses velléités d’indépendance que pour son audace et son impertinence. Il serait idiot pour tout africain censé d’encourager l’aventure diabolique de l’OTAN en Libye. Car la faillite de la Libye de Kadhafi est peut-être aussi celle de toute l’Afrique.