François Hollande et Martine Aubry sont-ils, comme le prétend Arnaud
Montebourg, « deux faces d’une même pièce » ? Et de quelle pièce s’agit-il ?
J’espère qu’après s’être enfermés dans des bavardages de détails, les candidats vont enfin prendre un peu de
hauteur et parler de politique étrangère alors que le monde de 2011 est en plein mouvement. Que pensent les deux candidats des révolutions arabes ? de ce qu’il se passe en Syrie ? au
Yémen ? en Égypte ? en Tunisie ? en Libye ? Comment appréhender la Chine, le Brésil, la Russie, l’Inde ?
Pour l’instant, c’est électroencéphalogramme plat question diplomatie. C’est pourtant l’une des parts les
plus importantes des activités d’un Président de la République.
Rien non plus sur la vision à long terme de la construction européenne. Où va l’Europe ? Quelles
avancées proposent-ils ? Quelles sont leurs perspectives ? les moyens pour y arriver ? Rien du tout !
Le cas Montebourg
Fort de ses 17%, même si, finalement, ce n’est pas grand chose compte tenu du contexte (455 609
personnes seulement lui ont fait confiance), Arnaud Montebourg a l’audace déplacée de faire du chantage auprès des deux candidats finalistes susceptibles d’être élus à la Présidence de la
République.
En clair, cela signifie que moins d’un demi-million de personnes seraient capables de prendre en otage la
nation toute entière. C’est un peu fort de café !
Après les avoir traités avec beaucoup de désinvolture, Arnaud Montebourg leur a balancé une missive de quatre
pages (lisible ici) où il les somme de le rejoindre dans ses analyses délirantes sur la démondialisation
et la pseudo-6e République. On croirait rêver ! Voilà qu’un ultraminoritaire (1,2% calculés sur les suffrages exprimés de 2007, soit l’équivalent d’un Frédéric Nihous ou d’une
Christine Boutin !) voudrait dicter des ordres à deux présidentiables qui sont les favoris dans les sondages.
C’est évidemment de bonne guerre. Arnaud Montebourg veut devenir le prochain Ministre de la Justice et pousse au maximum son avantage, mais en frisant
carrément la surchauffe.
Il est clair que celui des deux « impétrants » prêt
le cas échéant à se soumettre à ce diktat inouï sera immédiatement disqualifié, peut-être pas à la primaire mais sans aucun doute à l’élection présidentielle. Car cela signifierait une
inconstance totale dans la vision globale de ce candidat et sa faiblesse par rapport à ceux qui vont imposer leurs lois (les écologistes ont déjà fait fort au Sénat, par exemple).
Qui va gagner ?
Si on parle de François
Hollande comme favori (dans les sondages d’intentions de vote pour l’élection présidentielle), même s’il a dépassé le millions de voix, il a fait une performance assez moyenne creusant un
écart somme toute assez faible (8%) avec sa concurrente Martine Aubry qui, elle, serait en pleine
dynamique.
En regardant l’arithmétique (qu’on ne peut pas extrapoler au second tour car les votants du 16 ne sont pas
forcément les mêmes que ceux du 9 octobre), la seule certitude est que le second tour sera très serré, ce
qui peut attiser les animosités. Il faut, à mon avis, regarder les dérivés, et incontestablement, Martine Aubry est en pente ascendante tandis que François Hollande est plutôt sur un palier.
Un premier sondage (OpinionWay-Le Figaro) confirmerait cette tendance avec 4% perdus par François Hollande
(54%) et 4% gagnés par Martine Aubry (46%) chez les sympathisants de gauche. Si cette évolution continuait les jours prochain, il pourrait perdre cette avance.
Le soir du premier tour, François Hollande avait toutefois prononcé un très bon discours, très présidentiel,
synthétique, général tandis que Martine Aubry a été plutôt mauvaise, trop longue, bafouillant parfois, énumérant un catalogue à la Prévert beaucoup trop détaillé si bien qu’il n’est rien resté de
son allocution. On voit assez vite qui suit des cours de communication (et de maintien) et qui n’en suit pas.
Blanc bonnet et bonnet blanc ?
Alors que depuis plus d’un mois, les médias monopolisent le débat politique sur ce choix purement interne, un
choix, rappelons-le, qui ne concerne en rien le programme socialiste puisque tous les candidats à la primaire sont prisonniers du même projet adopté il y a déjà quelques mois, voici enfin une
séquence qui va s’achever.
Il faut reconnaître que les socialistes sont plus malins que le RPR par exemple, lors de la campagne
présidentielle de 1995.
À l’époque, deux Premiers Ministres RPR (ancien ou actuel) se disputaient les suffrages directement au
premier tour de l’élection présidentielle le 23 avril 1995 (eh oui, au contraire des élections présidentielles américaines, l’élection présidentielle française a deux tours). Il fallait admettre
que Édouard Balladur et Jacques Chirac soutenaient à peu près le même projet de société, étaient issus des mêmes cercles de réflexion (l’un ayant conseillé l’autre pendant vingt ans sur les affaires
économiques et sociales), dans le sillage de leur même mentor, Georges Pompidou.
Les socialistes préfèrent en effet se disputer tranquillement entre eux avant d’étaler leur union dans un
scrutin… universel. Tant mieux pour eux. Je ne peux cependant m’empêcher de penser que comme dans la rivalité Balladur/Chirac, il n’y a pas beaucoup de différence entre les deux héritiers de
Jacques Delors.
Si le fond a peu de divergence, la seule chose qui permette de distinguer l’un des candidats de l’autre,
c’est la forme. Sa personnalité, son comportement, lson expérience, ce qu’il représente, sa crédibilité, la confiance qu’il inspire…
Clivages et faux-semblants
Tout est effectivement est une question de posture et de perception.
L’argumentation principale de François Hollande, c’est qu’il serait le
plus apte à gagner le 6 mai 2012. Pour l’affirmer, il se base uniquement sur des sondages mais ceux-ci sont en train d’évoluer. On a vu ce que ça donnait en 2006 avec Ségolène Royal. De plus, Martine Aubry, même à une moindre mesure, est également donnée gagnante par ces mêmes
sondages. Ce qui fait que cet argument ne tient pas beaucoup.
De son côté, l’atout mis en avant par Martine Aubry est qu’elle représenterait la "vraie gauche" pour
contester la supposée "gauche molle" de son rival. Il est vrai que Martine Aubry a toujours nourri une image très à gauche, très socialiste tandis que François Hollande aurait une image un peu
plus social-libérale qui lui serait fort utile pour l’entre-deux-tours présidentiels. Ce supposé centrisme très radical-corrézien serait un avantage s’il n’illustrait pas une certaine tendance à
l’indécision consensuelle longuement pratiquée entre 1997 et 2008 à la tête du PS.
On pourrait aussi les opposer entre l’esprit de synthèse (Hollande) et l’esprit d’analyse (Aubry), entre la
forme (Hollande) et le fond (Aubry), entre la "gravitude" (Hollande) et l’authenticité (Aubry), l’expérience sur le terrain (Hollande) et l’expérience ministérielle (Aubry), etc.
Martine Aubry
Martine Aubry s’était retrouvée, en mai-juin 2011, un peu comme Lionel Jospin en décembre 1994-janvier 1995 : à savoir, après le forfait du champion (dans les sondages),
soit respectivement Dominique Strauss-Kahn et Jacques Delors, ils se sont retrouvés comme investis de
l’héritage de la candidature, c’est-à-dire, ils ont saisi l’occasion, pas programmée, d’être candidats à la candidature. Trois ans avant, ils n’avaient pas du tout imaginé être en situation
d’être candidats.
Lionel Jospin, en avril 1992, venait de se faire disgracier par François Mitterrand et après son échec aux législatives de mars 1993, avait demandé à son ministre de tutelle,
Alain Juppé, sa réintégration au Quai d’Orsay. Il avait donc clairement décidé de se retirer de la vie
politique (c’est une habitude chez lui !).
Martine Aubry, en été 2008, se retrouvait au point de convergence de tous les éléphants du PS et malgré la
mauvaise humeur de Bertrand Delanoë (qui était très haut dans les sondages, qui s’en souvient
encore ?!), elle a fédéré le front anti-royaliste au congrès de Reims pour maintenir au chaud la
candidature de Dominique Strauss-Kahn ou de Laurent Fabius.
Comme Lionel Jospin en 1995, Martine Aubry a eu au début du mal à croire en ses chances pour 2012 car elle ne
s’y était pas préparée.
François Hollande
Au contraire de Martine Aubry ou de Lionel Jospin, François Hollande, lui, pense à sa candidature dès 1988,
dès son arrivée à l’Assemblée Nationale. Si l’on peut comparer Martine Aubry à Lionel Jospin, on voudrait comparer François Hollande à François Mitterrand dont il prend les moindres mimiques au
point d’en être un tantinet agaçant.
François Hollande avait toujours refusé la dictature des courants au sein du PS, notamment parce que cet
homme de consensus refusait de se cliver, de se retrouver dans un camp alors qu’il ne voudrait se mettre à dos personne. Il a donc créé, en toute logique, un courant transcourant ! avec les
clubs Témoins, premier cercle des adorateurs de Jacques Delors et probablement qu’en cas de candidature de Jacques Delors à l’élection présidentielle de 1995, François Hollande aurait été son
directeur de campagne puis, en cas d’élection, un de ses ministres incontournables.
L’histoire en a décidé autrement et lui a retiré les rares occasions d’être au gouvernement à cause de la
présence de sa compagne d’alors, Ségolène Royal. Après la victoire du PS en 1997, Ségolène Royal voulait absolument devenir Présidente de l’Assemblée Nationale. Pour laisser son principal
concurrent Laurent Fabius au perchoir, Lionel Jospin a dû l’intégrer à son gouvernement, empêchant du même coup François Hollande d’y être. Plus tard, même si cela n’a duré que trois mois, un
gouvernement aura quand même intégré en son sein un couple (Michèle Alliot-Marie et Patrick Ollier).
La ministrophilie d’un proche jospiniste, Daniel Vaillant, a permis cependant à François Hollande d’être le
premier secrétaire du PS pendant tout le gouvernement Jospin entre 1997 et 2002 et surtout, de tenir la maison entre 2002 et 2008, à une époque où les socialistes étaient profondément divisés
(par le référendum sur l’Europe et par l’absence totale de leadership incontestable).
Il comptait déjà arriver en sauveur du PS pour l’élection présidentielle de 2007 mais sa compagne l’a
supplanté avec une savante campagne de presse. Il revient donc en homme libre, hors de tout appareil, pour 2012, et, après la défection de Dominique Strauss-Kahn, disons-le, en homme providentiel
des sondages.
Martine Hollande et François Aubry
Finalement, le parcours des deux candidats résume assez bien ce qu’ils veulent aujourd’hui montrer. D’un
côté, Martine Aubry se veut avoir été une ministre compétente avec des réalisations concrètes (comme les 35 heures), mais risque de sombrer dans les détails, dans l’inaudible ; de l’autre
côté, François Hollande a toujours été un généraliste, jamais ministre, mais qui, durant cette campagne de la primaire, n’a cessé de prendre du recul, de donner les grandes lignes sans forcément
tomber dans les détails.
En cela, Martine Aubry est plus proche de la pratique présidentielle classique de la Ve République
qui se veut interventionniste sur tous les sujets (une sorte de super Premier Ministre) alors que François Hollande, avec son don du consensus, est plus proche du Président arbitre qu’auraient pu
incarner Alain Poher en 1969, Jacques Chaban-Delmas en 1974, Raymond Barre en 1988 et probablement François Bayrou en 2007.
Réunir son aile gauche au premier tour, attirer l’aile droite au second tour de la présidentielle, tel est le
fameux dilemme de tout présidentiable socialiste. Le 16 octobre 2011, on verra si l’adage de François Mitterrand tient toujours : le PS se prend par sa gauche. Avec ce principe-là, Martine
Aubry a un léger avantage.
Aussi sur le
blog.
Sylvain Rakotoarison (12 octobre
2011)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Le premier tour de la primaire
socialiste.
Risque de
la lepénisation du PS.
Le PS et la logique présidentielle.
François Hollande.
Martine Aubry.
Arnaud Montebourg.
Résultats définitifs du 1er tour de la primaire socialiste.
Lettre d’Arnaud Montebourg aux deux
impétrants.
http://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/le-match-ultime-aubry-versus-102277