Franco Nero

Par Inisfree
« J'ai une technique particulière. Une caméra est comme une femme que chacun veut séduire. Il faut être sûr de soi et donner le meilleur de soi-même pour la conquérir. » (entretien dans L'age d'or du cinéma italien)

Parmi les figures emblématiques du western italien, on pourrait écrire que si Clint Eastwood personnifie l'impassibilité ironique, Giuliano Gemma la décontraction athlétique et Tomas Milian l'exubérance exotique; alors Franco Nero a trouvé une voie originale en incarnant une certaine dureté obsessionnelle. Dur le regard à l'éclat métallique et bleu profond des yeux, un regard implacable mais si lointain en même temps, comme hors du monde. Dur le visage carré à la beauté classique d'un héros de l'antiquité, les traits presque figés et en même temps ce sentiment qui passe d'un feu intérieur. Dure l'allure du corps ramassé et engoncé dans des vêtements rigides comme une carapace : le manteau noir de Django, la veste en cuir de Sullivan dans Texas addio, le lourd gilet de peau dans Le temps du massacre, les caches-poussière du mercenaire et de Kéoma. Dure enfin la voix, qui ne s'élève presque jamais mais impose avec force : « L'important est que vous allez mourir » murmure-t'il à ses adversaires dans la première scène de Django. La voix du destin.

Dans les quelques personnages qui ont forgé la légende de Franco Nero, né Francesco Sparanero le 23 novembre 1941 du côté de Parme, cette dureté est le signe extérieur d'une obsession violente qui dévore le personnage et le mène aux frontières de la douleur et de la mort. Cette obsession prend une forme que je n'hésite pas à qualifier de pathologique : Dans Django de Sergio Corbucci , son désir de venger sa femme l'amènera à jouer de façon irraisonnée avec le major Jackson et à massacrer à la mitrailleuse sa bande dans une scène à la violence surréaliste. Plus tard, cette idée fixe sera momentanément supplantée par celle de toucher sa part du butin ravi avec les mexicains et, buté, il élaborera une combine sophistiquée pour récupérer l'or, risquant tout, sa vie et sa vengeance y compris, pour le conserver. On retrouve cette obsession maladive de l'argent sur un mode plus humoristique dans Le Mercenaire également de Corbucci où Kowalski négocie ses services en pleine bataille, sous les balles et la canonnade. Dans Texas Addio de Ferdinando Baldi, le désir de Sullivan de venger son père se double d'une solide obsession de ramener vivant le criminel pour le faire juger, intention louable mais qui l'amènera néanmoins à tuer ceux qui cherchent à l'en empêcher par paquet de douze. Si Kéoma est un personnage plus complexe, sa quête existentielle prend elle aussi un tour monomaniaque qui l'amène à défier Caldwell, tyran local, et à s'opposer de façon intransigeante à ses hommes comme à ses demi-frères et à la population terrorisée.

Ces obsessions sont la matière qui fait les grands héros. On la retrouve dans d'autres personnages incarnés par l'acteur comme Lancelot du Lac dans Camelot de Joshua Logan, Lancelot où le chevalier obsédé par l'honneur; et Don José dans une adaptation western de Carmen : L'homme, l'orgueil et la vengeance de Luigi Bazzoni, Don José ou l'obsession de l'amour. C'est également le cas dans plusieurs de ses compositions pour le cinéma politico-policier italien des années 70, que ce soit le policier « Cobra » Staziani dans Il Giorno del cobra d'Enzo G.Catellari, l'ingénieur Antonelli dans Il cittadino si ribella du même ou encore le dirigeant socialiste Mattéotti dans L'affaire Mattéotti de Florestano Vancini.

Et ce jusqu'au-boutisme a toujours un prix que les personnages de Franco Nero payent au prix fort : Django a les mains broyées, Mattéotti est assassiné, Kéoma est crucifié (!), Tom Corbett dans Le temps du massacre du sadique Lucio Fulci, est fouetté cruellement, Antonelli tabassé, dans Companeros ! de Sergio Corbucci, Peterson est enterré jusqu'au cou pour être piétiné par des chevaux (charmante coutume mexicaine), etc.

Ces multiples sévices semblent pourtant acceptés avec résignation par les personnages de Nero. Sans doute parce nombre d'entre eux ont déjà à voir avec l'au-delà. Django, aux frontières du fantastique, semble revenu d'entre les morts. Kéoma dialogue avec elle et lui impose même la garde de son « fils adoptif ». Sur un mode plus léger, Kowalski et Peterson aux nationalités lointaines pour le Mexique (Polonais et suédois) semblent des anges protecteurs pour les péones révolutionnaires incarnés par Tony Musante et Tomas Milian. On retrouve là encore une composante des grands héros de l'antiquité : Persée, Thésée ou Hercule, familiers des aller-retours avec les enfers.

  Franco Nero n'a rien perdu de son charisme. Il faut le voir donner des entretiens, toujours enthousiaste, presque vieux et véritablement beau, les yeux toujours aussi bleus, la voix toujours calme et déterminée, l'expression toujours aussi passionnée pour parler de ses films, de ses collègues, de cinéma, d'Enzo G Castellari son ami et réalisateur fétiche, de Laurence Olivier son mentor, de Vanessa Redgrave sa compagne, de sa longue et riche carrière. Il a tout joué, non seulement de multiples personnages, mais de multiples nationalités : italien, yougoslave, polonais, grec, espagnol, américain, trente différentes dit-il. Un parcours multiple qui le voit alterner les grands réussites du film de genre (les westerns, les polars) avec de grosses machines (c'est John Huston qui le remarque le premier sur La bible en 1966, Force 10 de Navarone de Guy Hamilton en 1978, Die hard 2 de John McTiernan en 1990) et le cinéma d'auteur (il est de l'aventure Querelle de Rainer Werner Fassbinder en 1982). L'oeil toujours bleu. Calme et résolu sur nos écrans, déterminé comme Django qui traîne son cercueil pour l'éternité.
 

Franco Nero en construction

Franco Nero par Michael Den Boer

Franco Nero chez Shobary's

Franco Nero en allemand

Franco Nero en allemand 2

Photographies: Syu-wa et  imagesjournal