Magazine Cinéma
J'ai écris il y a peu qu'un quatrième décès récent m'avait touché dans le milieu du cinéma. C'est celui de Danièle Huillet. Pas comme pour Jack Palance qui me ramenait à des souvenirs d'enfance, ni comme pour Robert Altman dont je suivais l'oeuvre avec passion. Je n'ai jamais rien vu des films qu'elle a réalisé avec Jean-Marie Straub. Problème d'accès aux films pour beaucoup mais aussi un peu par manque d'intérêt. Pourtant j'en ai beaucoup entendu parler et j'ai lu pas mal de choses sur leur travail. Huillet et Straub ont peu d'admirateurs mais ces admirateurs les défendent bec et ongles et cela force mon respect sinon mon intérêt. J'ai donc été sensible à la façon dont certains ont parlé ou écrit sur la disparition de Danièle Huillet. A vrai dire, j'avais jusqu'à présent deux « images » des Huillet-Straub, une positive liée à un texte sur John Ford écrit pour le livre collectif des Cahiers du Cinéma et une négative, une diatribe violente de Jean-Marie Straub contre le cinéma de Stanley Kubrick. Bref, je suis tombé sur ce court métrage via Hippogriffe, Ciné tract. Il se trouve que le même jour, je ne sais trop comment mais j'aime bien ce genre de hasards, je suis aussi tombé sur cet extrait du film The harder they come, un film jamaïquain de Perry Henzel avec Jimmy Cliff et qui inclus cette scène extraordinaire du Django de Sergio Corbucci. Les Straub et Corbucci dans la même note, je peux le faire. J'ai commencé à réfléchir sur ce qu'était, ce que pouvait être un film politique. Je repensais aux réticences de Pierrot, notamment envers le cinéma de Bertrand Tavernier ou du récent Ken Loach, cinéastes politiques revendiqués. Je me suis dit que tous ces films étaient pourtant bien politiques à leur façon. Tavernier ou Loach font des films qui s'appuient sur le réel, l'Histoire, mais prennent les habits de la fiction sans renoncer à une dialectique et cherchent à convaincre. Contrairement à ce que l'on dit souvent, je ne pense pas qu'ils s'adressent à un public convaincu d'avance mais, justement, de part leur approche fictionnelle, cherchent à toucher ceux qui ont une vision différente. Le film de Henzel s'inscrit lui dans une vague de films, les films « blacks » de la fin des années 60, début des années 70, politiquement franchement revendicatifs. Il s'agit d'affirmer une identité, de faire savoir que l'on existe et de dire haut et fort ce que l'on veut et ce que l'on ne veut plus. La scène du film est emblématique de cette sorte de revanche par procuration que prennent les spectateurs (des jamaïquains pauvres d'un quartier populaire) à travers Django et de leur plaisir. Nombre de films de blaxploitation fonctionnent sur ce sentiment et le renversement des codes. Il y a une certaine ironie dans le cas présent à ce que la procuration soit donnée à un blanc. Et la scène de Henzel est pleine d'ambiguïté car filmant le plaisir par procuration, il filme aussi de la frustration. Django est également un film politique, mais un film politique masqué. Comme tout bon film de genre, les codes passent avant le message. Dans ce cas précis, la dimension politique est assez explicite avec les échanges d'insultes racistes, l'opposition Nord-Sud et Sud-Mexique, l'allusion flagrante aux camps nazis et l'extermination à la mitrailleuse d'échappés du Ku Klux Klan. Plus avant dans le film, Django délaissera ses motivations intellectuelles pour l'appât du gain et la bonne vieille vengeance. Néanmoins la force de la scène du massacre est bel et bien là et Corbucci aimait raconter les réactions enflammées des salles populaires italiennes à la vision de son film. Il semble que ces réactions étaient partagées un peu partout ailleurs. Le Ciné tract des Huillet-Straub semble à des années lumières de ces films là. C'est pourtant un film qui s'appuie sur le réel, c'est un film d'indignation, un film qui propose des mises en relation (chambre à gaz, chaise électrique). Mais c'est un film qui me tient à distance. De part sa forme, la répétition du plan six fois, de part son dépouillement qui va jusqu'à le rendre énigmatique à quelqu'un qui aurait pourtant suivi les évènements qui l'ont inspiré, ce qui était mon cas. Comme le fait remarquer cet intervenant à l'émission d'Arnaud Laporte sur France Culture, rapporté par Hippogriffe : Heureusement qu’il y a un texte à l’entrée du cinéma pour nous expliquer qu’il s’agit de Clichy…