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Indépendance et souveraineté nationale, moralité et intégrité politique, respect des droits de l’homme, préservation des ressources naturelles, paix et coopération internationale... Il y a quelques semaines, abordant les grands enjeux nationaux, le conseil constitutionnel (Stjórnlagaráð) a remis ses 9 chapitres de recommandations au Parlement (Althing). Celui-ci devrait les examiner dans le courant du mois. Probablement soumis à un référendum populaire (c’est en tout cas le souhait des membres de la commission), les 114 articles rédigés remplaceront peut-être les 79 articles de l’actuelle Constitution, octroyée par le Danemark en 1874 et très légèrement modifiée lors de l’indépendance de l’île en 1944.Les premières consultations publiques organisées par le gouvernement de Jóhanna Sigurðardóttir prennent place en 2009, sous l’impulsion de collectifs populaires indépendants du pouvoir qui souhaitent créer les conditions d’une société plus juste et plus probe. Les modalités de désignation des candidats à l’Assemblée Constituante issues de ces premières tables rondes démarrent quant à elles l’année dernière. Contrairement à ce qui a été souvent écrit, cette révision constitutionnelle était prévue de fort longue date. Et si la crise financière de 2008 a bel et bien accéléré sa mise en place, son origine est moins directement le fait de «la rue», d’un ras-le-bol généralisé ou d’une quelconque «révolution des casseroles», que la conséquence d’une exigence politique; celle d’un parti d’opposition (le Parti du Progrès) qui avait conditionné son soutien à la coalition Gauche-Verts de 2009 à ce changement de constitution.
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Les 25 membres de l’Assemblée sont élus en novembre 2010. En raison du très court laps de temps concédé aux candidats (3 semaines) pour faire campagne, le démarrage est timide. Mais la ferveur populaire ne va-t-elle pas bientôt se manifester lorsqu’il s’agira de suivre l’avancement des travaux de l’assemblée sur la Toile ? De nombreux médias n’ont-ils pas évoqué une démocratie participative exploitant le net plus ultra de la modernité virtuelle pour favoriser l’expression populaire ? Les serveurs informatiques des Facebook, Twitter, Youtube et autre Flickr parviendront-ils à accueillir les vagues incessantes de commentaires et de propositions que ne vont pas manquer d’adresser des dizaines de milliers d’islandais enthousiastes attendant fébrilement que les 25 « sages » exploitent leurs souhaits de changer leur île, avant peut-être de révolutionner le monde ?« Un processus inédit qui pourrait préfigurer la démocratie de demain » (Télérama - 23/06/11)
« 25 citoyens ordinaires élus pour rédiger une nouvelle constitution »
(cyberpresse.ca - 30/11/10)
« L'Islande fait sa révolution : élection d'une constituante. Scoop ! »
(politique-actu.com)
« Révolution citoyenne en Islande »
(LePoint.fr - 4/10/11)
Un « événement peut-être plus considérable que la nuit du 4 août 1789 »
(parisseveille.info / décembre 2010)
...Et en effet, depuis plusieurs mois, de nombreux médias rendent compte de ce projet de nouvelle constitution sous l’angle de l’événement planétaire, voire inter-stellaire, après un silence prolongé (voire définitif pour certains : le Figaro) qu’une blogosphère engagée a vertement dénoncée
Le fait est qu’en théorie, la mise en place d’une Assemblée constituante (1) apparaît comme une solution apte à redonner au peuple un pouvoir démocratique dont s’est emparé l’exécutif. La démocratie « doit permettre l'expression des enjeux politiques et sociaux fondamentaux » écrivait André Bellon au sujet de la France dans Le Monde du 5 juillet dernier. Pour l’ex-président de la Commission des Affaires Etrangères de notre Assemblée Nationale « l'élection d'une Assemblée constituante » serait une « solution pacifique » susceptible de combler « le décalage entre électeurs et élus (...) devenu une source grave de tensions » dans l’hexagone et offrirait l’opportunité d’en « finir (...) avec des institutions de plus en plus hors-sol et (de) refonder la vie politique sur les enjeux de fond qui préoccupent les Français ».
Thorvaldur Gylfason
Dans un mail que j’ai reçu début août, l’un des membres élus du Conseil constitutionnel Islandais se félicite lui aussi des résultats obtenus grâce au dispositif mis en place.« Nous avons obtenu un consensus et approuvé le projet constitutionnel à l’unanimité. Un exploit rare quelles que soient les circonstances, oui, mais particulièrement en raison de la nature des réformes constitutionnelles que nous proposons et qui sont radicales à de nombreux égards »écrit Thorvaldur Gylfason, dans un message adressé spontanément à une vingtaine de journalistes. « Notre projet met l’accent sur la nécessité de trouver des moyens de contrôle et d’équilibre entre les trois branches de notre système de gouvernement, mais aussi entre les concepts de pouvoir et de responsabilité. Il insiste sur les notions de transparence, d’équité, de protection de l’environnement et d’exploitation efficace et équitable de nos ressources naturelles. Il vise à éradiquer la corruption et le secret (etc) ».Tout porte donc à penser qu’un tel système, parce qu’il tendrait à s’inscrire dans un processus démocratique qui privilégie le « gouvernement du peuple, par le peuple, pour le peuple », pourrait modifier cet art de gouverner qui, selon Voltaire, consistait « à prendre le plus d'argent possible à une catégorie de citoyens afin de l’offrir à une autre ». Le processus mis en place en Islande et les résultats obtenus ont-ils été conformes à ce que nous a décrit un grand nombre de médias internationaux et à la hauteur des enjeux évoqués ? Une participation inférieure à 36%. Moins de quatre islandais sur 10 se sont déplacés pour élire les représentants de l’Assemblée Constituante. Jamais l’implication autochtone n’avait été aussi basse lors des scrutins passés, qui enregistrent en moyenne une participation de 90%. Peut-on raisonnablement assimiler ce désintérêt factuel à une « réinvention de la démocratie » (2) ? Et comment expliquer un tel tapage médiatique pour une élection qui a mobilisé l’équivalent de la population d’une ville de la taille d’Aulnay-sous-bois ? « Mais enfin ! Il s’agit d’une e-révolution participative; c’est la démocratie de demain nom d’une source d’eau chaude ! » hurleront peut-être quelques anti-capitalistes extatiques lestés du discernement d’un troupeau de moutons confondant les retombées cendrées d'Eyjafjallajökull avec l’impressionnante brume automnale des Fjords de l’Est.
Guðmundur Guðlaugsson
« Comparée à ceux qui étaient connus du grand public en raison de leurs activités, la majorité des candidats à l'élection était des néophytes totalement inconnus » confirme Guðmundur Guðlaugsson qui s'était lui aussi présenté. « En raison du court laps de temps qui leur a été laissé pour faire campagne, ils n'avaient aucune chance de faire connaître leur programme » ajoute cet ancien Maire.Autant dire que toutes les conditions n’étaient pas réunies pour favoriser ce « processus populaire de refondation républicaine » décrit par les plus optimistes.
Dépense dispendieuse et inutile pour certains au regard de la situation économique du pays, manque de confiance pour d’autres (quant aux bénéfices tangibles de la révision, dans la réelle volonté des parlementaires de changer le «système»)... De nombreuses hypothèses ont été émises pour expliquer cette désaffection massive. Les plus crédibles tiennent sans doute à plusieurs paramètres, qui, corrélés, auront freiné l’émergence des « candidat-citoyens » et émoussé l’implication des islandais : plus de 520 prétendants en lice ; une médiatisation des postulants réduite à peau de chagrin et dont se sont plaints certains candidats ; un système de scrutin certes équitable mais complexe et inédit en Islande (4) ; trois semaines pour permettre aux électeurs de faire leur choix avant de voter ; et ultime raison non moins importante : le lobbying efficace de ceux qui n'avaient pas vraiment intérêt à voir certains changements être mis en place.
(A suivre)
(1) Devenu Conseil constitutionnel février suite à l’annulation de la Cour Suprême pour quelques vices de forme susceptibles de nuire à la confidentialité du scrutin
(2) http://www.cadtm.org/Quand-l-Islande-reinvente-la http://www.parisseveille.info/quand-l-islande-reinvente-la,2643.html
(3) Icesave : du nom de cette filiale défunte de Landsbanki qui a englouti quelques milliards d’euros réclamés aujourd’hui par la Grande-Bretagne et les Pays-Bas.
(4) Assimilé à un mode de représentation proportionnelle qui offre une meilleure équité qu’un suffrage majoritaire à deux tours, le « vote unique transférable » est utilisé dans moins d’une dizaine de pays à travers le monde (Irlande, le Canada, l’Australie, etc.).