Magazine Politique

Asymétrie historique

Publié le 11 octobre 2011 par Egea

Regardant ce soir le journal TV (j'entends déjà vos lazzis : mais pas de presse à cause de la grève, il faut bien s'informer), j'entends un ministre algérien expliquer : "Il faut tourner la page, mais pas la déchirer". La formule est très belle, et excellente, car elle pose la question du lien national à l'histoire. De façon plus générale, comment expliquer la permanence des ressentiments chez beaucoup d'anciennes colonies, devenues indépendantes depuis maintenant cinquante ans ? Peut-être est-ce dû, entre autres raisons, à une asymétrie historique.

Asymétrie historique
source

1/ En effet, la France, tout comme les "vieilles" nations d'Europe, se flatte d'une histoire ancienne et pluriséculaire. Beaucoup d'avanies, beaucoup de triomphes, et l'alternance de pages brillantes comme de pages claires qui habitue au contraste et, finalement, à la nuance. Du coup, le rapport à l'histoire de la colonisation -et de la décolonisation, qui a été douloureuse dans le cas français- peut être relativisé, même s'il comporte encore beaucoup d'affects.

2/ Il n'en est pas de même pour beaucoup de nations décolonisées. Certes, elles existaient auparavant, et ce n'est pas la colonisation qui leur a apporté l’histoire : Le développement des études historiques africaines est là pour le prouver. Toutefois, la colonisation a importé un modèle étatique qui n'existait pas auparavant : et d'une certaine façon, en accédant à l'indépendance, si les nouvelles nations se libéraient, elles conservaient une matrice "occidentale" qui était nouvelle, et moderne. En ce sens, ces Etats sont nouveaux. Dès lors, même si la Nation est plus ancienne, le sentiment étatico-national est récent qui seul permet de transcender les différences ethniques préalables dans une citoyenneté nouvelle.

3/ Au fond, l'histoire des uns, trop récente, se compare mal à l'histoire des autres, très ancienne. Il y a asymétrie historique, ou plus exactement asymétrie de la conscience historique. Autant l'un peut se permettre de relativiser compte tenu de la longue histoire passée, autant l'autre prend tout à cœur et ressent tout événement comme important, au regard de son histoire vécue comme récente. C'est d’ailleurs pourquoi l'histoire pré-coloniale est si nécessaire, car elle permet une prise de distance psychologique avec l'ex-colonisateur.

4/ Ainsi, très souvent, le sentiment national ne pouvait naître que de l'opposition à l'ancien colonisateur. C'est ainsi qu'il faut comprendre une bonne part de l'attitude algérienne depuis l'indépendance et jusqu'à récemment : elle avait besoin de magnifier cette lutte de décolonisation pour perpétuer l'Etat. L'Etat trouve ses racines dans son indépendance, et il est logique que très souvent, les fêtes nationales des décolonisés soient la date anniversaire de leur indépendance. Mais cela explique aussi que le temps passant, les sentiments s'émoussent à mesure que les protagonistes s'éteignent. Et pour reprendre le cas de l'Algérie, nous observons actuellement ce processus, qui explique la déclaration du ministre algérien, prononcée à l'occasion de la visite de Jeannette Bougrab, ministre de la République et fille de harki.

5/ Le temps apaise les cicatrices car il réduit l'asymétrie historique, et permet une convergence des relativisations. C'est fort bien ainsi.

O. Kempf


Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Egea 3534 partages Voir son profil
Voir son blog

l'auteur n'a pas encore renseigné son compte l'auteur n'a pas encore renseigné son compte

Magazines