Depuis dimanche soir, celles et ceux qui trouvent la politique en général trop compliquée, et la gauche incompréhensible dans ses innombrables nuances et subtilités, peuvent respirer : la question présidentielle de 2012 se résume finalement à une interrogation de physique ; choisir entre le dur, et le mou.
Il faut remercier Martine Aubry et son brillant entourage pour cette simplification salvatrice. Pour choisir votre candidat, pour trancher, donc, entre Martine et François Hollande, il vous suffit de l’attraper et de le tâter sans ménagement. Si votre doigt s’y enfonce sans résistance et se perd dans son élasticité, c’est que vous avez affaire à la mollesse hollandaise, à fuir à tout prix. Si au contraire vous vous heurtez à une solidité marmoréenne, c’est que vous avez touché le gros lot aubryste, à sélectionner sans perdre une seconde.
Hélas, tout le monde n’a pas la chance de pouvoir côtoyer les deux prétendants à l’investiture d’assez près pour procéder à cette palpation politique. Il faut donc recourir à d’autres signaux pour repérer et séparer le bon grain (dur) de l’ivraie (molle). Des chochottes.
La gauche molle, c’est celle qui prépare sa candidature à l’élection présidentielle depuis deux ans et qui trace son sillon avec régularité, partant des tréfonds des sondages pour finir par acquérir leur faveur et le statut critiqué de « favori ». La gauche dure, c’est celle qui hésite, soupèse, tergiverse, construit des pactes à 3 ou 4 proto-candidats pour paralyser les primaires, avant de se lancer au dernier moment.
La gauche molle, c’est celle qui tient le cap de l’union de la gauche quand elle dirige le PS, et qui se faire élire localement sur cette ligne. La gauche dure, c’est celle qui gagne un congrès sur le refus de l’alliance avec le MoDem tout en gouvernant, dans sa septentrionale capitale, avec le parti de centre droit.
La gauche molle, c’est celle qui réunit sans louvoyer les réformistes à gauche. La gauche dure, c’est celle qui s’apprêtait à soutenir la candidature du directeur sortant du FMI, et qui aujourd’hui s’époumone par la voix de son porte-parole sur les « marchés » et les « agences de notation ».
La gauche molle, c’est celle qui est soutenue par Robert Hue, ancien premier secrétaire du Parti Communiste Français. La gauche dure, c’est celle qui préface le livre-programme de Tony Blair.
La gauche molle, c’est celle qui a défini depuis le début un cap de campagne avec lequel on peut être d’accord, ou non – jeunesse, dialogue social, réforme fiscale. La gauche dure, c’est celle qui se découvre une nouvelle « priorité » à chaque sortie thématique, qui promet d’augmenter le budget de la culture quand elle parle aux artistes, d’augmenter le nombre de policiers quand elle parle de violence, d’engager plus de moyens pour l’éducation quand elle visite une école. Avant de critiquer l’irresponsabilité de la gauche molle quand cette dernière déclare vouloir créer des postes d’enseignants.
La gauche molle, c’est celle qui est en tête en Seine-Saint-Denis et dans la banlieue parisienne. La gauche dure, c’est celle qui s’impose chez les bobos parisiens.
La gauche molle, c’est celle qui dérange parce qu’elle rassemble. La gauche dure, c’est celle qui fait mine de promettre la lune avant l’élection, mais qui serrera les boulons une fois élue. Comme en 1984. La pièce est connue, et les têtes d’affiche sont toujours là.
L’affrontement entre gauche molle et gauche dure, c’est un peu Jaurès d’un côté, Guesde et Mollet de l’autre. Et si j’étais de la gauche dure – celle qui désigne une gauche molle – je finirais par me dire que c’est la gauche molle qui est dure, et la gauche dure qui est molle.
Heureusement que je suis de la gauche molle.
Romain Pigenel
Le lexique des mots de la politique (les durs, les mous, les autres), c’est ici.