Attribué à Claude Lefebvre (Fontainebleau, 1632-Paris, 1675),
Un précepteur et son élève, sans date.
Huile sur toile, 135 x 111 cm, Paris, Musée du Louvre.
« La musique classique se meurt à la radio et à la télé. » Ce titre d’une chronique de Christian Merlin parue dans Le Figaro du 3 octobre dernier et largement reprise depuis sur les réseaux sociaux sonne comme une évidence pour qui observe l’univers des médias. À l’origine de cette réflexion, la disparition de la grille des programmes de RTL, première radio généraliste de France, de l’émission Classic classique présentée depuis 22 ans par Alain Duault et s’inscrivant dans une tradition vieille de plus de 50 ans de présence sur cette antenne de la musique classique. Je vois d’ici quelques froncements de sourcil, mais rassurez-vous : si l’éviction de France Musique de Gaëtan Naulleau m’a inspiré, il y a quelques mois, une poignée de réflexions sur la musique ancienne sans prise de position sur l’animateur lui-même, je n’enfourcherai pas non plus aujourd’hui mon blanc destrier pour défendre le nouveau débarqué.
De vous à moi, j’ai une dette envers RTL, station qu’écoutaient mes parents et dont les programmes de la fin d’après-midi dominical consacrés à la musique classique, rendez-vous où officiait souvent Louis de Froment à la tête de l’Orchestre symphonique portant le nom de cette même radio, ont fait découvrir au jeune provincial issu d’un milieu tout sauf mélomane que j’étais Mozart, Beethoven, mais aussi Saint-Saëns, Vivaldi ou Grétry. Si ce souvenir vieux de plus de trente ans est encore très vivace en moi, je n'écoutais plus l'émission d'Alain Duault depuis des années, car sa programmation ne rendait absolument pas compte de la diversité et de la richesse de l'univers de la musique, de la même façon que ce que nous présente la télévision n’en offre qu’un reflet totalement déformé, qu’il s’agisse des émissions d’Ève Ruggieri ou des si mal nommées Victoires de la musique classique. Contrairement à l’image qu’en donnent ces rendez-vous, dont le seul mérite est d’exister, cette dernière ne se résume pas à ce que l’on appellera, pour faire simple, l’esprit « grande maison » avec lequel se gargarisent des présentateurs tous sortis du même moule ronronnant toujours les mêmes programmes, dans lesquels le lyrique et les prétendues vedettes vendues à grand renfort de publicité par ce qui reste de majors exercent une hégémonie presque absolue, en de languides soupers fins pour happy few dont le snobisme gourmé agit comme un véritable repoussoir auprès du public non informé. Si la disparition de l’émission d’Alain Duault est un nouveau symptôme désolant d’un moins-disant culturel, elle l’est également de l’échec de cette approche que je définirai non comme élitiste, ce qui impliquerait un niveau d’exigence qu’on y cherche trop souvent en vain, mais, dans l’acception la pire de cet adjectif, comme mondaine. Ce monde-ci, à l’image de certains festivals dont une des fiertés, faisant fi des méfaits de la consanguinité, semble être de ne frayer qu’entre soi, sent formidablement son formaldéhyde et je gage qu’il fleurera bientôt le caveau.
Même si ce n’est guère évident en France, pays dans lequel elle peine, depuis des siècles, à être considérée comme autre chose qu’un art d’agrément, la musique fait bien partie, au même titre que les autres disciplines, de la culture. Sa disparition des médias généralistes, les « spécialisés » s’adressant, par nature, à une minime frange de gens qui n’ont pas besoin d’être convaincus, représente donc une réelle cassure dans la transmission d’un héritage dont les générations futures se soucieront d’autant moins qu’elles en ignoreront à peu près tout, les satrapes de l’audimat les ayant soigneusement privées d’une possibilité supplémentaire de le rencontrer. Il ne s’agit donc plus ici du destin d’une émission de radio mais bien d’un problème plus large d’éducation, une mission d’éveil que ne peut assurer, malgré toute la bonne volonté des enseignants, une école coincée entre priorités multiples et fonte de ses moyens. Pourtant, avec un peu de bonne volonté et une ambition raisonnable, il serait sans nul doute possible pour la musique classique de retrouver une place dans ces médias qui la tiennent aujourd’hui pour quantité négligeable ; entre le conformisme patelin façon Classic classique et la légèreté superficielle de La boîte à musique, il existe sans nul doute une place pour une autre voie. Sans tomber dans le piège d’une décontraction ou d’un jeunisme empruntés et sonnant, de ce fait, terriblement faux, mais en usant d’une pédagogie sans arrogance et d’une véritable volonté de partage s’étendant au-delà des arrondissements ou des banlieues privilégiés de Paris et de sa région, pourquoi n’inventerait-on pas une formule qui, sans concessions aux modes ou aux légendes, permettrait au plus grand nombre de renouer avec un patrimoine qu’il est crucial de ne pas laisser disparaître ? Utopie, me direz-vous. Peut-être pas, si cette démarche s’appuie sur la passion retrouvée des Français pour l’Histoire, dont atteste le succès tant des programmes proposés par les télévisions ou les radios que des publications qui lui sont consacrées.
Mettre en lumière les rapports étroits existant entre la musique et son contexte, que ce dernier soit politique, sociétal ou culturel, rendre sensible, à travers eux, le fil qui unit passé et présent et fait que des œuvres composées il y a trois cents ans sont toujours éloquentes, telles sont, à mon avis, deux grandes lignes possibles d’un programme qui pourrait permettre à la musique classique de regagner un peu du terrain qu’elle a perdu. C’est en osant assumer sans rougir sa part d’inactualité qu’elle parviendra à prouver que sa place se situe au cœur même de son temps.
Accompagnement musical :
François Couperin (1668-1733), La Convalescente, extraite du 26e Ordre du Quatrième Livre de Pièces de clavecin (1730).
Frédérick Haas, clavecin Jean-Henry Hemsch (1751)