Une presse française toujours en phase avec la vraie actualité
Pour le moment, tout va bien : grâce à une série de micro-événements locaux, internes et nombrilistes, la presse a su conserver l’œil des Français sur le cochonnet de la magnifique partie de pétanque qui se déroule dans nos frontières.
Ainsi, les primaires socialistes se sont étirées langoureusement sur plusieurs semaines. C’est, quand on y pense, plus que pratique : c’est salutaire puisque cela aura permis à une demi-douzaine d’instituts de sondages de faire leur beurre, à des centaines de reporters-photographes de nous ramener des images plus fraîches que leurs sujets, à des dizaines de blogs de retrouver une nouvelle vigueur.
Le lancement, en fanfare, de la campagne socialiste aura ainsi donné l’occasion de ressortir, en toute logique, quelques petites affaires bien pourries qu’on qualifiera de traditionnelles et quasiment attendues ; des mallettes et des billets d’un côté, des parrains mafieux de l’autre, c’est à la fois très classe et complètement fortuit dans ce pays !
Et pour cette semaine, on continue souplement, dans des petites foulées athlétiques, sur la même lancée. Les unes du Figaro, de Libé, du Monde ne laissent aucun doute : il ne s’est rien passé dans le monde de suffisamment important pour ne pas détailler sur plusieurs articles, sur toutes ces unes, les divagations pâteuses d’un bourgeois légèrement encanaillé qui ne sera, de fait, certainement pas élu président de la République Française en 2012.
Bon, ok, si, lorsqu’on fouille un chouilla, il y a bien quelques autres sujets d’importance en France. Tenez, prenez celui-ci, il vaut une capture d’écran :
Pendant que la Nation toute entière palpite à l’idée de désigner un candidat qui ira, enfin, bouter Sarkozy hors de l’Élysée (dans lequel, du reste, il est bien seul maintenant que tout le monde le fuit), une certaine catégorie de branleurs syndicalistes a décidé de faire une non-grève qui va se traduire par une journée de non-travail. Des non-trains vont circuler non-normalement ce qui va probablement provoquer des non-problèmes sur certaines non-lignes. Les oui-usagers sauront trouver la oui-force pour surmonter ces non-interruptions et aller oui-travailler.
Du reste, on sent là aussi que les préoccupations de ceux qui vont faire un petit coup de non-travail sont en prise directe avec l’actualité du terrain : Bernard Thibault, l’indéboulonnable briard baveux en charge du groupuscule d’inaction terroriste, déclare ainsi que cette nouvelle bouffonnerie « est un message de refus de cette austérité qui, si on laisse faire, peut prendre des proportions beaucoup plus lourdes ». Oui, pour lui, « ne pas laisser faire », c’est se croiser les bras. Comprenne qui pourra.
Comprenne qui pourra aussi lorsqu’il parle d’austérité dont on ne voit pas le début du museau humide dans la non-action gouvernementale si chimiquement pure qu’elle pourrait avoir la qualité syndicale que le petit Bernard pourrait lui décerner.
À moins bien sûr qu’il parle des petits bricolages affectueux que le gouvernement tente discrètement de faire à la marge, un peu comme un peintre en bâtiment tentant de repeindre la Tour Eiffel avec un pinceau double zéro. Ou peut-être Thibault veut-il évoquer les méchants radars à feux rouges qui ont chopé tant et plus ces derniers mois, et dont les bénéfices doivent à peine couvrir la micro-mesure précédente ?
Bref, on se perd en conjectures.
Mais en tout cas, une chose est absolument certaine : on ne parlera pas de la nationalisation de Dexia. Ou si, rapidement, histoire de dire que c’est bon, c’est fait, cela a été réglé pendant le week-end, pas de quoi paniquer. Et concernant la banque danoise Max Bank et la banque grecque Proton Bank, il n’y a rien à déclarer.
Moui bon si elles ont été aussi nationalisées en catastrophe ménanparlonplucirculez allez ouste. De toute façon, ça ne veut rien dire. Des banques qu’on nationalise, ça arrive tous les jours, non ? Et puis c’est bien fait pour ces banquiers ! Qu’on les pende ! Ils n’ont que ce qu’ils méritent !
Et puis ce n’est pas grave. Est-il vraiment utile de s’attarder sur le vote crucial de la Slovaquie au sujet de la ratification du Fonds de Soutien Européen ? D’abord, qui sait ce que c’est que ce fonds de soutien et comment il marche ? Personne.
Et puis, des Slovaques, t’en as déjà vu, des Slovaques ? T’en connais, toi ? Pfouarh.
Bon. Ok, s’ils disent non, le Fonds en question ne peut plus grossir, et vu les besoins, cela amènerait probablement une petite nervosité sur les marchés. Rien d’insurmontable à qui dispose d’une imprimante suffisamment rapide. Et puis tout le monde sait qu’ils finiront par accepter. Point n’est donc besoin de détailler les opinions de ceux qui sont contre ce fonds. Point n’est besoin d’ajouter à la tension palpable la confusion de ceux qui pensent qu’ajouter des dettes pour résoudre un problème de dette est une erreur. Rooh.
SPIEGEL ONLINE: Slovakia has yet to approve the expansion of the euro backstop fund, the European Financial Stability Facility (EFSF), because your Freedom and Solidarity (SaS) party is blocking the reform. If a majority of Slovak parliamentarians don’t support the EFSF expansion, it could ultimately mean the end of the common currency.
Sulik: The opposite is actually the case. The greatest threat to the euro is the bailout fund itself.
Tout cela est sans importance : le gentleman farmer du socialisme décontracté a fait un score mémorable, la dinde du Poitou est passée à la casserole, des miyons de personnes se sont bousculées pour se faire enregistrer (et ont même payé pour ça) et le pays, on le sent, va déjà mieux.
L’hiver sera doux. Il fera beau. Dimanche, il y aura un second tour. Peut-être Carla pondra-t-elle son lardon ?
Je vais faire du thé.
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