Hélène CRUCIANI – Expéron : 6,5/10
Ce premier roman d’Hélène Cruciane est très prenant ! Malgré la note que je lui ai attribuée (bonne, mais pas excellente), je tiens à souligner que ce roman contient le petit quelque chose, la petite étincelle qui annonce de futurs romans que j’ai hâte de lire ! Car malgré les quelques faiblesses de ce premier roman, je l’ai lu sans poser le livre une seule fois !
Il s’agit d’un roman d’anticipation :
Hélène Cruciani nous projette dans un monde futuriste qui n’est pas sans rappeler les grands classiques tels que le meilleur des mondes créé par Aldous Huxley . Le thème est très courant dans la SF avec, au centre, la réglementation de la procréation, la sélection des enfants (du moins jusqu’à un certain point) et les effets secondaires parfois dévastateurs des progrès techniques.
Nous sommes en 2054 et la vie a bien changé ! Les progrès techniques qui ont d’ores et déjà envahi le quotidien sont nombreux et semblent rendre la vie plus simple.
Ainsi, il est désormais plus simple d’accéder à la connaissance – si on a les moyens financiers – et ce grâce aux « fulguimas ». Le fulguima permet de convertir des livres en images et de les assimiler en quelques minutes.
Sans surprise, la société est désormais plus surveillée et réglementée qu’auparavant. Une loi en particulier a changé la vie des familles : celle sur la procréation.
Les femmes au foyer se plaignaient qu’il faudrait reconnaître leur travail comme un véritable métier et le rémunérer. C’est désormais chose faite – mais le prix à payer est plus lourd qu’on ne le pensait : désormais toute personne qui souhaite devenir parent doit être titulaire d’un diplôme, l’AAE, qui couronne des études qui peuvent durer jusqu’à cinq ans. Mais le diplôme lui-même n’est pas suffisant, par la suite il faudra encore suivre une psychanalyse. Une fois ce parcours du combattant accompli, l’heureux lauréat peut alors procéder à la « bébé-sélection » et choisir celui de ses enfants biologiques potentiels qu’il souhaiterait voir grandir.
Mais attention : lorsqu’une femme tombe enceinte alors qu’elle n’a pas obtenu l’AAE, l’Etat assume sa logique : elle est considérée ne pas posséder l’aptitude à éduquer un enfant – et on lui enlève dès lors ce dernier pour le placer dans un organisme gouvernemental qui l’élèvera jusqu’à l’âge adulte.
Cette contrainte envahit le quotidien des époux Sollow, les personnages au centre de ce roman : Andy et Annabel Sollow vivent à Lyon. Andy, un célèbre scientifique, est l’inventeur du fulguima et travaille sur un projet encore plus révolutionnaire, l’expéron (je ne vous dirais pas de quoi il s'agit, mais j'ai adoré l'idée).
Son épouse vient de rater son AAE, ce qui la brise presque complètement : elle a déjà trente-huit ans et devra attendre un an avant de repasser l’examen, puis le temps de la psychanalyse elle risque de dépasser le terrible seuil des quarante ans qui pourra l’exclure à tout jamais de la maternité tant souhaitée.
Le rêve de devenir mère devenant presque inaccessible, Annabel est désormais totalement obnubilée par cette question et elle tente par tous les moyens de contourner l’interdiction.
Son époux a d’autres préoccupations et est presque ravi de voir Annabel rater son AAE : il vient de faire la connaissance du jeune Ange, dix ans. Ce petit garçon est incapable de parler, de comprendre ce que l’on lui dit, de communiquer tout court, mais il s’avère qu’il a des capacités intellectuelles hors du commun en ce qui concerne les images : il peut les créer, les recréer, les manipuler, les assimiler et fait preuve d’une telle intelligence qu’Andy Sollow ne pense plus qu’à travailler auprès de ce petit garçon qui pourra l’aider à avancer dans ses travaux.
Sans s’en apercevoir, il délaissera son épouse au moment où elle a le plus besoin de lui.
Ce roman d’anticipation est vraiment passionnant, même s’il traite d’un sujet lu et relu maintes fois.
On sent la sensibilité de l’auteur face à la détresse de ces femmes qui ressentent le besoin impératif de procréer et qui, souvent trop tard, réalisent qu’il faudra entamer des études trop longues pour s’accommoder de leur horloge biologique. Ce besoin qui tourmente les femmes est très présent dans le roman, mais l’auteur parvient à ne pas devenir agaçant (ce qui était un risque). Elle introduit avec adresse quelques images dans le récit qui nous déchirent le cœur et qui nous permettent de réellement comprendre toutes les implications de cette réglementation futuriste.
Toutefois, j’ai regretté plusieurs choses :
D'abord un manque : ce qui me manquait tout particulièrement c’était d’entrer un peu plus dans la psychologie de ceux qui utilisent le fulguima et surtout l’expéron.Le roman se focalise trop sur l'aspect du contrôle des naissances et délaisse presque cet aspect là. Or, dans la deuxième partie du livre nous avons vraiment envie d’entrer dans le monde d’Andy Sollow et de ses inventions, d’autant plus que nous sommes confrontées à des personnages qui ont des réactions surprenantes suite à l’utilisation de l’expéron. Les « effets secondaires » de cette invention sont abordés mais laissés au bord de la route, alors que qu’on avait vraiment, mais vraiment envie d’en savoir bien plus. Voir l’évolution, voir comment les patients/cobayes réagissent …
Un autre aspect qui, finalement, ne fait que traverser le roman qu’en fantôme alors qu’il semble pourtant être l’un des piliers, c’est le petit garçon, Ange : on le croise, le recroise, on s’aperçoit de ses progrès fulgurants, mais en définitif on ne voit jamais son véritablement son évolution. J’aurais adoré le suivre un peu plus, comprendre un peu plus ce qui se passe dans son cerveau.
Entre l’un et l’autre, voilà une bonne centaine de pages qui auraient eues le mérite d’exister !
D’autres points m’ont également un peu ennuyée, mais là c'était le contraire, c'était un "trop" :
Certaines explications ou retours en arrières étaient presque maladroits ou superflus. L’auteur, à de multiples reprises, mentionne des évènements en passant et finalement, ces faits "historiques" sont sans intérêt pour nous et ne font qu’alourdir certains chapitres. Loin de colorier l'ensemble, cela enlève à la fluidité d'un monde qu'on imagine déjà bien, puisqu'il sa mise en place est réussie.
Oui, il faut laisser des zones d’ombres pour permettre à l’imagination du lecteur de vagabonder, mais encore faut-il que cela apporte quelque chose. Donc, ne pas mentionner certains futurs faits historiques aurait été plus adroit – nous aurions alors vagabondés plus librement dans l’imaginaire !
Enfin, l’auteur nous décrit un avenir empli d’avancés technologiques et de nouvelles menaces liées au progrès de tous les cotés : le landau qui flotte, les cancers environnementaux, la nouvelle vague de grippe venue d’Asie, l’hyperphone (qui a remplacé le téléphone portable), les hologrammes, …
Tout cela est bien beau, mais c’est trop. Le monde créé est complexe, oui, mais certains détails sont trop … détaillés.
S’il fallait introduire autant d’éléments futuristes, futiles ou importants, il fallait aller au bout et ajouter une autre centaine de pages au roman, dédiés à ce monde à venir. Ou alors supprimer une douzaine de pages pour ouvrir la place à notre fantaisie personnel. La encore, la mention d'inventions futiles futurs n'apporte pas de relief au monde 2054 créé par l'auteur.
Malgré tout cela, "Expéron" est un début réellement prometteur pour Hélène Cruciani !
L’étincelle magique de la littérature s'y trouve sans le moindre doute ! Impossible de poser le livre avant de l’avoir achevé ! Une imagination fertile, une écriture agréable et sensible, une aptitude à marier les deux dans un très bon premier roman !
J’espère lire d’autres œuvres écrites par elle, car je suis persuadée que nous sommes là face à un auteur qui progressera de roman en roman !