Enfin, dans Lyon même, au Musée des Beaux-arts, il faut absolument aller voir l’accrochage d’une partie de la collection d’Antoine de Galbert (jusqu’au 2 janvier). Sur des thèmes liés à la religion, à la mort, à la magie, il combine ici art brut, art primitif, art contemporain et quelques œuvres des collections du Musée. Dès l’entrée, le ‘Vous allez tous mourir’ de Claude Lévêque domine une collection de reliques, crucifix, ex-voto et autres bondieuseries.
Se confrontent ensuite un corps de Berlinde de Bruyckere, informe, étalé sur une table, pâle et martyre (Aanéén, 2003), et un autre corps sensuel et douloureux, celui de saint Sébastien soigné par sainte Irène, du caravagiste baroquisant napolitain Antonio de Bellis (1640) : il est trop rare de voir des œuvres classiques dans des expositions d’art contemporain (inculture des curateurs ou frilosité des conservateurs ?) alors que l’inverse (l’art contemporain au Louvre ou à Versailles) est devenu fréquent, et, la plupart du temps, heureux. Cette juxtaposition-ci est particulièrement réussie.
C’est un peu moins vrai de la Monomane de l’envie, un des six portraits de fous de Géricault (1819/22) dont le regard vide semble traverser la robe empesée et cernée de fils noirs de Chiharu Shiota (State of being n°24, 2009), déjà admirée à la Maison Rouge, cependant qu’au fond, Klaus Kinski ne s’en remet pas d’avoir été ainsi peint par Jonathan Meese (Kinski-Gott, 2004).
Le même Kinski s’aperçoit au fond de cette vue d’exposition qui juxtapose une Table peinte de Franz West (2010), comme un all-over domestique, à trois objets en vitrine : un kafigueledjo (et non pas un kafilegeledio, comme écrit sur le cartel), objet magique Senoufo (à côté, hors champ, il y a aussi un boli), une croix chrétienne asiatique ornée de têtes de mort, et une pièce semblant plutôt relever du mariage de l’art brut avec le surréalisme, un Coffret à l’objet petit a de Jackie Kayser (1989) où un objet fait de corne, de fourrure et de dentelle, tel un godemiché ceint d’une jarretière, resplendit dans un écrin de velours, sauvage et érotique. Nul n’est besoin de penser des correspondances entre ces pièces d’origines si diverses –et si éloquentes-, simplement de les sentir.
Il y a bien d’autres œuvres dont j’aimerais parler. Contentons-nous d’une découverte, la Polonaise Kassia Knap qui plie et froisse des toiles, les rigidifie avec colles et résines, les recouvre de cendres et de sable, et réalise cet étonnant Paysage (2006), comme un retable, un fantôme, une sculpture inhabitée, désertée. Et aussi (ci-dessous) les 19 mannequins d’Henri Ughetto (1984-2002), faits d’œufs, de gouttes de sang, d’éléments organiques et plastiques, tout prêts à marcher hors de leur alcôve.
Le catalogue est assez étrange, une passionnante interview de Galbert par la Directrice du Musée, et un texte d’un 'technocrate culturel', tel qu’il s'y définit lui-même, aux antipodes du collectionneur marginal, dilettante, iconoclaste et libre qu’est Galbert, qui nous parle d’Insel Hombroich pendant des pages… Mais l’exposition est incontournable.
Photos de l'auteur. Kassia Knap étant représentée par l'ADAGP , la photo de son oeuvre sera ôtée du blog à la fin de l'exposition.