Dans le monde de l’orfèvrerie, deux traditions s’opposent: celle où la forme et la minutie des détails priment…
… et celle où la taille de l’objet permet d’en jauger la valeur:
Et bien sachez que ces traditions s’opposent depuis l’aube de l’humanité! D’un côté, Homo sapiens arbore ses premiers bijoux depuis au moins 82,000 ans. Les plus vieux spécimens qu’on a retrouvés sont des perles de collier faites en coquillage perforé, découvertes dans la grotte des pigeons au Maroc ou dans la grotte de Blombos en Afrique du Sud.
En revanche, dans l’esprit de Neandertal, une perle en coquillage ça ressemble à ça:
Vous l’aurez compris, discrétion et finesse ne sont pas le fort de notre cousin néandertalien… La demi-valve de coquille Saint-Jacques (Pecten maximus) ci dessus mesure 12cm par exemple alors qu’en moyenne, les bijoux en mollusques d’Homo sapiens en mesurent 1cm.
Mais si tant est que les bijoux néandertaliens ne se distinguent pas par leur raffinement, leur découverte en 2010 dans deux grottes ibériques fit tout de même sensation dans le milieu des paléoanthropologues! Et pour cause: nombre d’entre eux pensaient que l’une des causes de la disparition de l’homme de Neandertal fut son incapacité à développer des pensées complexes, comme le symbolisme. La capacité de développer une réflexion aboutie semblait, pour eux, intrinsèquement liée à notre anatomie, morphologie et patrimoine génétique. Et quoi de plus abouti que la conscience de notre propre beauté.
Comme on l’a vu plus haut, la découverte de bijoux dans les grottes africaines d'Homo sapiens conforta une partie de la communauté des paléologues dans l’idée que l’homme moderne avait une longueur d’avance sur ses cousins installés en Europe. Les quelques découvertes dans des grottes françaises, comme la grotte de Châtelperron, de bijoux en pierre attribués à Neandertal furent vite considérées comme des mauvaises attributions car ces grottes étaient peuplées par les deux espèces: Homo sapiens et Homo neanderthalensis.
Les découvertes des perles en bivalves ci-dessus sont donc remarquables à bien des égards:
D’une part, elles ont été retrouvées dans les grottes d’Anton et de Los Aviones, deux sites néandertaliens bien enfoncés dans la péninsule Ibérique, ce qui n’a pas dû faciliter les échanges entre les deux espèces humaines. Le site de Los Aviones en particulier se trouvait à 7 kilomètres de la côte et les spécimens et autres traces de vie retrouvés dans la grotte remontent à 50,000 ans, soit 10,000 ans avant l’arrivée d’Homo sapiens en Europe. Vu l’ampleur de la découverte, les paléontologues qui ont déterré ces coquilles n’ont rien laissé au hasard; ils ont par exemple examiné minutieusement chaque orifice pour les comparer avec les orifices que laissent les animaux sauvages qui dévorent ces bivalves et la plupart sont bien des marques de perforation laissées par un outil… Mais la plus importante observation concernant ces coquilles, est que la plupart porte des marques de pigments! Et oui, Neandertal soignait grave son bling! Je les imagine trop, la langue tirée avec des pinceaux en poils de mammouth à peinturlurer leurs coquilles. Surtout qu’ils ne lésinaient pas sur les moyens. Presque tous les pigments retrouvés sur les coquilles provenaient de sources éloignées à plus de 3 kilomètres de la grotte. Cela signifie que les Néandertaliens choisissaient leurs coloris! Encore une fois, je me représente trop la scène:
- Et toi Grumpf, comment tu le peins ton coquillage?
- Oh moi tu sais, je ne jure que par le parme ou par le vermillon…
La dernière facette de cette découverte, c’est que ces fameuses perles… et bien ce sont des coquillages! Et sachant que la plupart portent des traces liées à leur consommation, cela signifie que Neandertal se goinfrait de moules! Ca peut paraître anodin, comme ça, mais non seulement, la pêche à la moule n’est pas une activité si facile et nécessite donc d’avoir un poil de connaissance sur les marées et de savoir planifier des collectes à l’avance, mais en plus, la consommation de mollusques, riches en oméga-3, est extrêmement bénéfique pour le fonctionnement du cerveau. Du coup, l’hégémonie d’Homo sapiens en terme de pêche au bivalve était une nouvelle fois avancée comme un avantage que nous aurions eu sur nos bêtes cousins. On le voit bien maintenant, sortir le bling et épater la galerie en s’enchainant les douzaines d’huitres n’était pas l’apanage de l’homme moderne. Les différences s’amenuisent et le mystère s’épaissit quant à la disparition de nos cousins, pas si rustres…
De plus en plus d’études tendent d’ailleurs à montrer que nous sommes plus que des proches cousins de l’homme de Neandertal, ou en tout cas que cela ne nous a pas empêché régulièrement de batifoler… En effet, les individus des populations non-Africaines peuvent retracer d’1 à 4% de leur patrimoine génétique à celui des Néandertaliens! En d’autre terme, nous sommes presque tous des hybrides néandertaliens à hauteur de 1 à 4%. Si l’amour du Bling-Bling en est une conséquence, et qu’elle a contribué au choix de la parure d’une de mes idoles de jeunesse, ça ne saurait me déplaire!
Références:
Bouzouggar A, Barton N, Vanhaeren M, d'Errico F, Collcutt S, Higham T, Hodge E, Parfitt S, Rhodes E, Schwenninger J-L et al: 82,000-year-old shell beads from North Africa and implications for the origins of modern human behavior. Proceedings of the National Academy of Sciences 2007, 104(24):9964-9969.
Henshilwood C, d'Errico F, Vanhaeren M, van Niekerk K, Jacobs Z: Middle Stone Age Shell Beads from South Africa. Science 2004, 304(5669):404.
Zilhão J, Angelucci DE, Badal-García E, d’Errico F, Daniel F, Dayet L, Douka K, Higham TFG, Martínez-Sánchez MJ, Montes-Bernárdez R et al: Symbolic use of marine shells and mineral pigments by Iberian Neandertals. Proceedings of the National Academy of Sciences 2010, 107(3):1023-1028.
Cortés-Sánchez M, Morales-Muñiz A, Simón-Vallejo MD, Lozano-Francisco MC, Vera-Peláez JL, et al. 2011 Earliest Known Use of Marine Resources by Neanderthals. PLoS ONE 6(9): e24026. doi:10.1371/journal.pone.0024026
Currat M, Excoffier L: Strong reproductive isolation between humans and Neanderthals inferred from observed patterns of introgression. Proceedings of the National Academy of Sciences 2011, 108(37):15129-15134.
Liens:
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Articles A Very Remote Period Indeed (1, 2 et 3)
Article io9
Article Not Exactly Rocket Science