Cioran, Cahiers 1957-1972
Chaque jour un nouvel espoir, une nouvelle aube, une nouvelle force pour cet homme que la vie n’épargne pas, chaque nuit, il la passe à se tourner dans tous les sens afin de trouver une solution, la solution qui pourrait lui sauver la vie, et chaque nuit, il ne trouve pas le sommeil.
De son côté, sa femme dort, sans se soucier du lendemain, sans se soucier de son inconséquente bêtise, elle sait, elle sait que son imbécile de mari trouvera une solution, alors elle dort, tranquille, paisible sans se soucier des lendemains tragiques, car s’il ne trouve rien, ce sera de sa faute, à lui…
- - Tu sais, mes jours de prières ont été une longue méditation sur ma vie.
- - Et tu en retires quoi au juste ?
- - Je sais que je ne veux plus vivre comme je vivais, je ne veux plus être un esclave.
- - Alors tu vas faire comment ? lui demandais-je.
- - J’en sais rien pour l'instant, enfin si, je vais penser à moi.
- - Et pour la boutique ?
- - Qu’est-ce que tu me conseilles ?
- - Vends-là.
- - Tu crois ?
- - La situation économique ne va qu’empirer, j’ai discuté avec mon ami Erko, tu sais, il n’a pas de diplômes, mais il se cultive énormément, il passe son temps à s’informer et à tenter de comprendre le monde.
- - Un peu comme toi.
- - Oui, en mieux, parce qu’il a une conscience objective du monde, moi, j’ai de l’espoir, lui, depuis longtemps il sait que notre société est sans espoirs.
- - Comment ça ?
- - Selon lui, dans les dix ans à venir, le monde sera ruiné, et je le crois au regard des crises économiques qui sont faites par une bande de salopards.
- - Les crises ?
- - Oui, elles vont se succéder, le monde économique tel que nous le connaissons va s’effondrer, alors je te conseil vraiment de vendre ta boutique avant de ne plus rien en tirer.
- - Mais tu vois quoi ?
- - Les gens vont perdre leur boulot, les banques vont réclamer leur crédit, l’état ne va plus verser de pension, de RMI, RSA, les salaires tomberont en retard, la police sera renforcée, en Espagne, des villes sont actuellement déclarées en faillite et ne payent plus leur électricité, elles ont négocié pour en avoir dans les hôpitaux et dans les crèches, en France, des bandes des cités qui terrorisent déjà leur entourage, vont descendre en ville, elles vont bientôt s’attaquer à des commerces comme le tien, rien ne pourra les arrêter, ils sont en nombre et c’est pas une paire de flic qui va les stopper.
- - Attends, t’as vu le commerçant en Seine Saint Denis, un marocain, y’avait un gosse qu’il connaissait depuis toujours, il lui a fait une réflexion, le gosse, il a foutu le feu à sa boutique et avec des copains ils l’ont pillé. Il a décidé de rentrer dans un pays civilisé, au Maroc.
- - Si tu crois que les forces de l’ordre leur font peur…
- - Attends, je sais, l’hiver dernier un type m’a fait du vol à l’arraché dans la boutique, je l’ai laissé partir, je ne vais pas me prendre un coup de couteau pour une merde chinoise.
- - Tu as raison, alors vends la boutique, les pauvres vont s’appauvrir de plus en plus et les riches ne sont pas intéressés par tes produits.
- - Remarque, je t’avais dit que je ne prenais plus de chèque et là, j’ai un chèque de 45 euros impayé, le problème, c’est que je connais la cliente, pire, c’est une amie, je ne sais pas comment faire ?
- - Aïe… Il y a de plus en plus de boutiques qui ne prennent plus de chèques, des fois même, elles ne prennent plus que du liquide.
- - Carte bleue, ça va encore, mais jusqu’à quand ?
- - Tiens, j’ai été dans une boulangerie futuriste, la caissière n’est jamais en contacte avec l’argent, on se croirait au casino.
- - Comment ça ?
- - Tu commandes ton pain, on te le pèse, la caisse enregistre le montant, devant toi, deux machines, une qui prend des billets, l’autre les pièces, soit tu fais l’appoint en pièces et tu les mets dans la machine, soit tu mets ton billet et la machine te rend la monnaie, comme ça, pas de risque de vol pour le patron.
- - Génial.
- - Moi, j’ai mis le billet, ça marchait tellement bien que j’ai demandé à la vendeuse si je pouvais encore jouer.
- - Et qu’est-ce qu’elle a répondu ?
- - Que les jeux étaient fait, bourricot !
- - Ah ! elle est bonne celle-là, mais je vais te dire, c’est un bon truc. Tiens, tu sais ce qu’il m’a dit mon assureur ?
- - Qu’est-ce qu’il t’a dit ?
- - Il a dit que c’était tout de même une connerie de vendre le magasin, et puis il a ajouté : mais votre femme, elle ne se rend pas compte que ce magasin lui permet de gagner de l’argent ?
- - Et bien quoi, ça fait des mois que l’on tient le même discours, il croit que tu ne le sais pas ? ajoutais-je.
- - Oui, alors il pense que c’est idiot de vendre et en même temps il dit que la conjoncture est telle, que c’est peut-être pas une mauvaise idée après tout. En revanche, il ne comprend rien à l’attitude de ma femme, il dit qu’il n’a jamais vu ça, et je ne te dis pas ce que pense le cafetier, il est désolé pour moi, il m’a dit que s’il pouvait m’aider, il le ferait, mais qu’avec son emprunt, il ne peut pas, mais je t’assure, il était sincère, en dehors de ça, il m’a dit que mon bouclar c’était une super boutique et que si ma femme travaillait régulièrement on gagnerait de l’argent, mais elle ne veut rien savoir, elle croit, à 50 ans, qu’elle va trouver un boulot de vendeuse payé à 2000 euros par mois, si seulement.
- - Attends, elle a une boutique, elle est patronne et vendeuse et sa seule ambition est de trouver un boulot de vendeuse chez un patron ? Elle a un pet au casque ta femme. Elle rêve la pauvre, elle est complètement inconsciente, d’autant qu’on vire les quadras et les quinquas justement parce qu’ils coutent trop cher. Aujourd’hui, le minimum syndical devient un étalon or et elle croit avec son attitude, son laisser-aller, son dilettantisme, elle croit sérieusement trouver un emploi ? Alors elle va marquer sur son CV qu'elle était patronne et qu'elle accepte un simple boulot de vendeuse ? Moi, en tant que patron, je me poserais des questions, du genre pourquoi avoir laché votre magasin ? OH, vous savez, j'ai tout plaqué pour le théâtre, vous comprenez, c'est ma passion... Mais attends, après une semaine avec elle, et ses horaires imposés : ha ! non, là je rentre j’ai théâtre… vous comprenez, j’ai autre chose à faire que de vendre vos merdes… Elle se croit encore dans les années soixante où l’on quittait un boulot pour en trouver un autre dans la foulée, aujourd’hui, un Job, on est content de le garder, mais elle, la patronne, elle détruit son outil de travail par pure vanité, elle est incapable de réaliser que son magasin peut lui permettre de conserver son statut, tu as raison, c'est une femme stupide.
- - Je sais, je sais…
- - De toute façon, tu ne peux pas faire confiance à une bonne femme qui vient bosser quand elle en a envie, et qui se barre en plein milieu de la journée parce qu’elle juge que son boulot la fait chier, elle a la mentalité australienne d'il y a 20 ans, on vient quand on veut, à l'époque un restaurateur ne savait jamais si son serveur ou son plongeur viendrait travailler ou pas, c'était la grande inconnue, heureusement, avec les Chinois, les mentalités ont changé, car eux, ils travaillent et l'attitude de ta femme serait immédiatement sanctionnée.
- - Je sais, tu crois que ça ne me fait pas mal de vivre cette stupidité avec cette femme qui se couche près de moi sans me toucher depuis des années ? alors, j’ai appelé un ami, je l’ai connu gamin, aujourd’hui, il a 4 agences immobilières, je vais diner avec lui la semaine prochaine et je lui demanderais de prendre ma femme dans une de ses agences.
- - Tu ne vas pas faire ça, tu ne lui rends pas service.
- - Écoute, s’il lui trouve un job, c’est tant mieux, après, elle devra se battre comme les autres, payée à la commission, en dehors de ses défauts monstrueux, c’est une excellente vendeuse, elle pourrait te surprendre.
- - Elle n'a aucune notion juridique, de comptabilité...
- Elle apprendra.
Ce - Tu parles, et ce qui me surprendrait c’est qu’elle ne coule pas la boite de ton copain, et rien que pour ça tu vois, je ne la recommanderais jamais à personne à cause de sa sottise crasse, les gens bêtes, c’est très, mais alors, très dangereux et surtout en situation de crise, parce que l'immobilier en ce moment, c'est très difficile, quoique, depuis la crise, un bien qui valait à Strasbourg 3000 euros du m2 en vaut auourd'hui 5000, va savoir pourquoi ?
- - Philippe, regarde moi, mais je n’ai plus le choix, je veux qu’elle trouve un job et qu’elle me foute la paix.
- - Tu sais, à partir d’aujourd’hui à chaque fois que tu porteras ton regard sur ta femme, tu verras ton échec, tu verras ton magasin s’écrouler devant toi, je ne voudrais pas être à ta place, car grace à cette femme, 30 ans de travail disparaissent comme s'ils n'avaient jamais existé.
- - Je sais Philippe, je sais, mais je ne veux pas m’énerver, je veux voir devant moi, pas derrière.
- - Et je vais te dire, tu as raison et tu as raison de l’aider, parce que sinon, ce boulet, tu le traineras toujours à ton pied, c’est le meilleur moyen de t’en débarrasser.
- - Tu connais la dernière ?
- - Non ?
- - Ils ont eu 8 réservations pour leur pièce de théâtre, elle a tout quitté, et les sacrifiés que nous sommes, pour ça.
- - Tu veux dire qu’ils ont joué pour 8 ou 16 personnes ?
- - 8 ! me répondit il dépité, et encore, il l'a plaignait à cet instant, il plaignait encore son bourreau.
- - Ne me dis pas qu'ils ont perdu du temps à jouer pour 8 personnes ?
- - Pire, ils offrent la recette à une association d’handicapés.
- - Et pourquoi pas au PS ? Attends, 8 places, mais c’est une misère, on ne joue pas les généreux quand on est fauché, c’est insultant, comme si elle croyait qu’elle allait ramener la recette complète d’une salle comble ? Ce type de générosité, on la fait quand on est célèbre, pas quand on est une troupe de branquignols.
- - Tu critiques son attitude ?
- - Oui, parce qu’ils ne sont pas assez célèbres pour générer des fonds, et comme je te l’ai dit, c’est insultant pour l’association d’handicapés. En clair, elle abandonne, mari, enfants et boutique pour ça ?
- - Oui !
- - Bon, je n’ai qu’un mot à dire, Bravo ! Ta femme est une championne du monde…
A suivre…
PS : Ce texte n’est pas libre de droit, merci de votre compréhension…