"Anticiper (sa mort), oui, mais quand ? Le moment, c'est quand cela bascule dans l'invivable... Oui, mais c'est quand ?"
Cette citation est issue du témoignage recueilli par le centre
d'éthique clinique de l'hôpital Cochin, à Paris, qui a mené la première
étude sur les directives anticipées et les personnes âgées. Il en
ressort un grand désarroi face à l'écriture de ces consignes, censées organiser les derniers moments de sa vie au cas où l'on ne serait plus en état d' exprimer sa volonté. Une possibilité offerte par la loi Leonetti de 2005.
"Le législateur a souhaité promouvoir la volonté de l'individu, il était donc important de voir si ce qu'il a postulé a eu ou non un impact, si c'était ce que les gens voulaient", explique Denis Berthiau, juriste et chargé de mission au centre d'éthique clinique. L'étude doit être présentée mardi 11 octobre lors d'un débat sur le thème "Etre vieux, est-ce préparer sa mort ?".
Fondée sur des entretiens auprès de 186 personnes de 75 ans et plus,
elle confirme que le concept ne s'est pas diffusé, puisque, hormis les
adhérents de l'Association pour le droit à mourir
dans la dignité (ADMD), 90 % ne connaissaient pas les directives
anticipées. L'ADMD fait aussi ce constat et réclame que les pouvoirs
publics en parlent davantage.
L'étude va plus loin, en cherchant à savoir comment le dispositif est perçu une fois expliqué. "Le message massif est un désintérêt pour le concept", constate l'étude. "Les personnes interrogées n'ont en fait pas forcément envie d'exprimer clairement un souhait", explique M. Berthiau.
De fait, 83 % disent qu'ils ne laisseront pas de consignes
anticipées. Certains estiment que ce n'est pas une mauvaise idée, mais
qu'elle ne les concerne pas, qu'écrire des directives, c'est "trop tôt, trop compliqué". "Au moment ultime, c'est au médecin de décider",
lit-on dans un témoignage. D'autres jugent ce droit inutile, dangereux,
inapproprié. Certains n'ont tout simplement pas envie d'anticiper leur mort.
La question, aussi, est de savoir quoi écrire. Sur les 28 personnes intéressées, aucune ne sait vraiment quoi dire, tout au plus "pas d'acharnement thérapeutique".
Même parmi les adhérents de l'ADMD, qui ont tous rédigé des directives,
seuls cinq se font précis, notant par exemple qu'ils ne souhaitent ni
ventilation ni nutrition artificielles. Mais tous partagent la volonté
de décider eux-mêmes de leur fin de vie.
Pour expliquer
ce désintérêt vis-à-vis des directives anticipées, l'équipe émet
plusieurs hypothèses. Le concept est-il trop récent ? Existe-t-il un "effet génération" ? Les 75 ans et plus seraient un groupe encore très respectueux du pouvoir et du savoir
médical, peu militant en matière d'autonomie. Y a-t-il un "effet âge"
qui ferait que l'on n'envisage pas sa fin de vie de la même façon
au-delà de 75 ans ?
Enfin, le dispositif pourrait être
inadapté aux besoins ; dans les pays anglo-saxons, il a aussi connu un
faible succès. D'ailleurs, 70 % des personnes interrogées ne s'expriment
pas vraiment sur leur mort. "La préoccupation la plus forte (...) concerne le sens de la vie qui reste, et non le sens de la mort", relève l'équipe.
Celle-ci ne plaide pas pour supprimer
le dispositif, déjà adopté par certains. Constatant, à travers ce
travail, un vif intérêt pour une discussion avec un tiers sur le temps
qu'il leur reste à vivre,
elle propose la mise en place d'entretiens systématiques avec les
personnes âgées à un moment clé, par exemple la survenue d'une maladie
chronique ou l'entrée en maison de retraite.
Laetitia Clavreul
Le Monde