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Enseignant en sciences politiques à Reims et à Lille 2, chercheur, il vient de publier un ouvrage décapant sur la primaire socialiste
Rémi Lefebvre : « La primaire est un moyen de cacher que la rénovation du Parti socialiste a échoué ». photo DR
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« Sud Ouest Dimanche ». Alors que la plupart des socialistes ne cessent de s'émerveiller devant la formidable « avancée démocratique » que constitue cette primaire citoyenne, voilà un vilain petit canard - vous, en l'occurrence - qui vient chambouler un ordre bien établi (1). Elle est aussi inquiétante que cela, cette primaire ?
Rémi Lefebvre. Au départ de ma réflexion, il y a une évidence démocratique puisqu'on élargit la base de désignation du candidat, qu'on donne un pouvoir aux sympathisants qu'ils n'avaient pas auparavant. Difficile, donc, de contester le caractère démocratique puisque voter, c'est la quintessence de la démocratie.
Reste que je demeure persuadé que cette primaire affaiblit considérablement les partis, renforçant la démocratie d'opinion, basée sur les sondages, la médiatisation, la personnalisation. Le poids du spectaculaire, la dramatisation prennent une place beaucoup trop importante dans ce débat.
Vous expliquez que cette primaire a surtout l'avantage de cacher le véritable état du PS…
Mais c'est un terrible aveu d'impuissance ! La plupart des dirigeants étaient contre cette primaire. Harlem Désir, aujourd'hui premier secrétaire, y était farouchement hostile. François Hollande idem, Martine Aubry aussi, de même que Laurent Fabius… Ma thèse principale, c'est que la primaire est imposée parce que la rénovation a échoué. Le PS n'est pas parvenu à redévelopper le militantisme, à stopper son décrochage par rapport au monde du travail. Il manque d'ancrage social. Et surtout, il ne faut pas oublier que c'est un parti d'élus. Fondamentalement, les élus s'accommodent assez bien du système de la primaire parce qu'elle ne remet pas en cause leur pouvoir à eux. De plus, tant qu'elle ne s'applique pas au niveau local, ça leur va ! Grâce à cette primaire, ces mêmes élus peuvent donner des leçons d'ouverture sans remettre en cause la nature du parti. Autre élément, rappelons-nous que la primaire a été adoptée après le congrès de Reims et ses suspicions de fraude. Faire un vote interne pour désigner le candidat à la présidentielle aurait conduit tous les battus à crier à la triche.
Tous ceux qui ont poussé fort en faveur de cette primaire, les « outsiders » comme vous dites, les Montebourg et Valls, voulant mettre les éléphants dehors, mais aussi Terra Nova et quelques titres de la presse parisienne, se sont beaucoup inspirés de l'exemple de la campagne d'Obama. C'est importable ?
Bien sûr que non. Ce n'est pas du tout la même culture politique. Les différences sont telles qu'on ne peut comparer. Aux États-Unis, la primaire est partagée, elle est dans les deux camps. Là-bas, il n'y a qu'un tour à la présidentielle. Les promoteurs de la primaire ont instrumentalisé l'exemple d'Obama. C'est de l'importation sauvage !
Vous êtes inquiet pour l'avenir des militants socialistes ?
Oui. L'hypothèse que j'émets, c'est que la primaire dévalue le rôle des militants. Nombreux sont ceux qui se sentent floués parce que mis sur le même plan que les sympathisants. On leur enlève une espèce d'identité, de fierté. Je ne crois pas que le militantisme soit dépassé, mais je suis persuadé que cette primaire est une machine à rétrécir la base militante.
Le projet de la primaire, c'est aussi une redéfinition de la base électorale du PS, c'est un moyen de dire, on se détourne des catégories populaires.
Justement, à propos de cette primaire on ne cesse de parler des sondages. Vous n'êtes pas tendre avec ces études d'opinion. Évoquant Strauss-Kahn, vous parlez d'un « candidat imaginaire »…
Mais ça crève les yeux que les sondages fabriquent l'opinion - sans que pour autant je développe la thèse du complot. DSK a été valorisé de façon exceptionnelle. Actuellement, pour cette primaire, les sondages, c'est n'importe quoi. Il y a là un vrai problème déontologique. Donner Hollande favori, c'est une information à la limite de la désinformation. On ne sait pas qui va voter. Il ne devrait pas y avoir de sondages sur la primaire, ils ne sont pas méthodologiquement sérieux. Même faux, ils produisent leur effet puisqu'on ne cesse de nous dire que c'est Hollande le bon candidat. C'est ce qu'on appelle les prophéties autoréalisatrices…
(1) « Les Primaires socialistes, la fin du parti militant », éd. Raisons d'agir, 172 p., 8 €.