Présentation :
« Septembre 1980, sud-ouest de la France, une cloche qui tinte. C'est dimanche dans un village, beaucoup de touristes entre les collines couvertes de vignes. Quelqu'un s'interroge, une pancarte indique: "Château de Montaigne". L'homme vient-il ranimer des souvenirs scolaires ? Il hésite, de la fameuse tour au cabaret, à l'église. Que cherche-t-il ? A travers une intense pérégrination géographique, historique, littéraire, sentimentale, il s'abandonne à sa mémoire comme un ivrogne. Il visite, marche, s'identifie à l'air qu'il respire, au vin bu, aux gens d'aujourd'hui, d'hier. Ces paysans traînent la savate derrière leurs ancêtres, va-t-il les écoutant finir par baiser sur la bouche Montaigne ? Quel souci le hante ? Il semble connaître les gardiens du château. Quel roman l'attache à ces remparts ? à l'entrée dite à chicane ?Un livre qui, cher lecteur, ne contredira pas ma réputation d'amateur de textes difficiles, non qu'il le soit, mais il est tellement plus aisé de donner dans les lieux communs, surtout s'agissant de réputation, au lieu de se risquer à, allons-y d'une métaphore facile, sortir des sentiers littéraires battus : vivement la facilité; d'autant plus que telle critique déconseille de le lire dans le métro -- tout est dit.
Le lecteur est invité à chausser des bottes de quatre siècles. Il vit simultanément l'actualité du village, un 23 septembre (date anniversaire du mariage de Montaigne, et à dix jours près celle de sa mort), et les années de troubles d'autrefois, 1980 s'efface devant 1580, 1581. Montaigne revient d'Italie, nous revenons de quoi ?
Témoigner de ce qui a pu être vécu en ces lieux, s'adonner à une fiction où des figures se forment et se défont au gré de variations infinies, tel paraît être le propos de l'auteur qui, à sa façon, par de singuliers détours, retrouve quelque chose de la démarche des Essais. »
En bref, cher lecteur,qui souhaite te distraire, ne lis pas Domestique chez Montaigne de Michel CHAILLOU, il doit bien y avoir un ou deux NOTHOMB ou autre texte à grand tirage qui traînent sur les étals des marchands de livre.
Si, toutefois, tu échappes à la précipitation du jour, et peux laisser éteinte la lucarne aux images, vas-y lentement, oublie tes idées sur le récit et la narration, et entre dans ce voyage dans une langue qui te conduiras à Montaigne et chez Montaigne.
Pour te donner une petite idée de ce qui t'attend, voici les premiers paragraphes :
« Toux, noir, fond de commode, d'armoire, fond, sac peut-être ? Toux, comme un raclement de sabots tiré hors d'hiver.
Pénombre, s'accoutumer. Une chose bouge, craquements. Le bruit fait le chien, renifle. Quatre pattes d'une table, nuit très haute, attachée à l'oeil-de-boeuf. On dirait que l'instant s'épouille.
Flamme, main qui protège, clair d'un visage. Plus rien, noir encore, juron, autre allumette. Homme la cinquantaine incandescente, rides, tignasse, vague chemise, torchon des jambes nues, poils, posture accroupie, assiettes, chandelle, pommes, poires à moitié rognées, carpette, nature morte au bas d'un lit, couleur qui brûle, panorama de pieds de chaises.
Il se relève, enfile un caleçon long, dérobe au passage un vit presque grand veneur, tousse, veut cracher.
Crache, expectore son âme dans l'évier, ouvre le robinet, le gaz, prend une casserolle, la remplit. Se désintéresse de la suite, machinerie qu'il enclenche tête vers la bougie fichée sur une soucoupe à l'angle du buffet.
Il rêvasse, la planète s'équilibre, neige bloquée aux antipodes. Quelle heure ? Cinq ? Six ? Davantage ? Le jour ronge le bas des volets. »