Parmi les autres expositions lyonnaises autour de la Biennale, il faut aller un peu au Nord de la ville dans un vieux fort militaire désaffecté et y voir l’exposition d’artistes sud-américains concoctée par trois jeunes diplômés du Magasin inspirés par l’enfermement réalisé par Graciela Carnevale en 1968 à Rosario (et alors rompu par un ‘Coup d’éclat’). Dans les couloirs souterrains du fort, on ne peut pas éviter les trainées de poudre de brique au sol, dont on dérange le bel ordonnancement à son corps défendant et qu’on répand en traces colorées, contaminant tout l’espace : la brique, de matériau, devient poussière, marqueur, la ligne devient désordre, passoire, le spectateur devient dérangeur, pollueur (Como polvo de ladrillo, de Juliana Iriart, 2011).
Le corps du spectateur, après avoir détruit ce bel arrangement, se retrouve, dans une casemate voisine, bloqué, empêché de s’approcher par une barrière de bois : au-delà, dans le noir, un câble de cuivre incandescent brille, traversé par un fort courant électrique qui l’irradie. Son tracé reprend celui d’une frontière, d’un mur électrifié qui sépare deux communautés, deux peuples, deux pays. L’œuvre se nomme résistance, terme tant électrique que politique, bien sûr (Resistencia, 2009). Nul ne peut s’en approcher, ni eux, ni nous. L’énergie nécessaire pour séparer, pour diviser, pour opposer est énorme. L’artiste est Mexicaine (Marcela Armas) et fait référence à la frontière entre Mexique et Etats-Unis ; comme chacun sait, il est quelques autres murs de ce type.
Ensuite, trois belles vidéos : de Sebastian Diaz Morales, une vidéo fantômatique sur des manifestations en Argentine, présentée au fond d’un long boyau obscur, dans les entrailles du fort ; de Judi Werthein, un documentaire inquiétant sur la Colonia Dignidad, repaire allemand au Chili ; et surtout de Lorena Zilleruelo, un film de tango à Valparaiso, sur la danse et la maladie, sur la passion et l’abandon, sur l’archétype et la séduction, un film tout en glissements oniriques (Pasos, 2011).
Et, dans une autre salle obscure, huit bijoux d’argent étincellent, chacun sur son socle, protégés comme des objets précieux sous les spots : ce sont de toutes petites maquettes d’édifices officiels, et il faut les scruter de près, lire leur nom pour comprendre. Avec ces Joyaux de la Couronne (2009), Carlos Garaicoa a représenté les hauts lieux de torture des Amériques (plus le KGB et la Stasi) : le Pentagone, Guantanamo, deux lieux cubains, et, ci-dessus, le Stade de Santiago du Chili et l’Ecole supérieure de Mécanique de la Marine argentine. Dans cette grande salle sombre, ces minuscules joyaux écrivent une histoire qu’il faut se réapproprier.
Isolement, retranchement, frontière dérisoire, vérité et réconciliation : ces artistes sud-américains entrent en résonance avec ce fort désaffecté, et c’est une belle réussite.
Ensuite, plus au Nord, on peut aller voir les monochromes gris de Alan Charlton au couvent de la Tourette (dû à Le Corbusier) : dépouillés, ascétiques, ils ne déparent pas le silence des lieux, bien faits pour l’art minimal, et ils résonnent avec le rythme xenakien des vitres (jusqu’au 6 novembre). La visite avec le frère Marc Chauveau, commissaire de l'exposition, est passionnante.
Photo 2 courtoisie des commissaires et de l'artiste; photos 1, 3, 4 & 5 de l'auteur.